Je ne comprends pas. Je ne comprends pas ce qui se passe sur le boulevard Zerktouni, à Casablanca.
Certes, il y a des crimes et des délits qui sont extrêmement difficiles à prévenir (une agression nocturne dans un quartier mal famé, par exemple) ou dont les auteurs réussissent à échapper à la police et à la justice. On n’y peut rien. À l’impossible, nul n’est tenu. Même les fins limiers de Scotland Yard n’ont jamais pu retrouver Lord Lucan. Le FBI a fait chou blanc dans sa traque du ‘Zodiac Killer’– il semble d’ailleurs que son fameux code ait été déchiffré il y a quelques années par un polytechnicien marocain, mais c’est une autre histoire. Et qui a tué le rappeur Tupac Shakur? On n’en sait rien. Et qui était le fameux Jack l’Éventreur? Nobody knows.
Mais ce qui se passe sur le boulevard Zerktouni est d’une simplicité biblique à côté de tous ces crimes.
Ce boulevard est l’un des plus longs de la métropole, il est parfaitement éclairé, il traverse des quartiers chics qui sont loin d’être des zones de non-droit. Et pourtant…
Et pourtant, il se transforme chaque nuit en un circuit de motos rugissantes. Vers trois heures du matin, à l’heure où ferment les bars et les boîtes de la corniche, des motards éméchés et agressifs se réunissent près du phare, faisant rugir leurs moteurs modifiés pour augmenter encore plus le bruit des pots d’échappement (ce qui, en soi, constitue une infraction). Et tant pis pour les riverains, enfants, vieillards ou adultes, réveillés en sursaut au milieu de la nuit. Puis les centaures malfaisants se ruent en direction du boulevard.
«Casablanca a fait d’immenses progrès ces dernières années. Pour reprendre l’alternative exprimée jadis par l’illustre Driss B., elle s’éloigne du spectre ‘Calcutta’ et se rapproche de l’idéal ‘Barcelone’. Est-il alors admissible que l’un de ses boulevards les plus emblématiques soit livré au bon plaisir hurleur de quelques motards-soudards?»
— Fouad Laroui
À mon humble avis, le droit au sommeil devrait être inscrit parmi les droits de l’homme. Les motards qui traversent le boulevard Zerktouni à toute allure, moteur pétaradant, bafouent ce droit chaque nuit.
Des plaintes ont été déposées– parmi lesquelles celle d’un mien cousin, qui m’a supplié d’écrire ce billet en espérant qu’il réveillera (!) les autorités. Ces dernières ont d’ailleurs reçu moult témoignages, enregistrements sonores et vidéos. Peine perdue. Les propriétaires des hôtels qui bordent le boulevard ont également protesté, craignant de perdre leurs clients. Peine perdue (bis).
Casablanca a fait d’immenses progrès ces dernières années. Pour reprendre l’alternative exprimée jadis par l’illustre Driss B., elle s’éloigne du spectre ‘Calcutta’ et se rapproche de l’idéal ‘Barcelone’. Est-il alors admissible que l’un de ses boulevards les plus emblématiques soit livré au bon plaisir hurleur de quelques motards-soudards?
Je disais plus haut qu’il y a des crimes et des délits qui sont extrêmement difficiles à prévenir. Mais là? Il suffirait d’installer un barrage en travers du boulevard, d’arrêter ces brutes casquées (ou non), de confisquer leurs motos trafiquées (qu’ils rentrent à pied chez eux, bonne chance à trois heures du matin…) et d’envoyer ceux qui sont ivres cuver leur vin ‘à la cave’– c’est le cas de le dire.
Je n’ai pas eu l’honneur de fréquenter l’Institut royal de police de Kénitra (ville où j’ai d’ailleurs habité dans mon enfance), mais tout cela me semble assez évident. Confisquer une moto arrêtée à un barrage, c’est difficile?
La première obligation des autorités, c’est d’assurer l’ordre public. Eh bien, qu’elles l’assurent! Surtout sur le boulevard Zerktouni, qui porte le nom d’un héros qui a donné sa vie, en 1954, pour que les Marocains recouvrent tous leurs droits– y compris celui de dormir en paix.





