Mon ami Francesco, qui habite à Turin, le berceau de l’industrie italienne de l’automobile, m’a appris hier une nouvelle consternante: les ingénieurs de Ferrari ont reçu l’ordre de concevoir un moteur électrique qui fasse du bruit.
Pour les distraits et les cancres qui dorment au fond, près du radiateur, explicitons l’info: après un siècle de nuisances sonores dues aux voitures, l’humanité a enfin réussi à mettre au point des moteurs silencieux, parce qu’électriques. Hourra, bravo, vive la technique et l’innovation, etc. Enfin, un peu de repos pour nos oreilles!
Mais à Maranello, dans cette riche région italienne d’Émilie-Romagne qui abrite le siège historique de Ferrari, le boss a tapé du poing sur la table autour de laquelle il avait réuni ses principaux ingénieurs. «Quoi? Una macchina silenziosa? Mais vous êtes fous? E poi, cosa encora? Pourquoi pas un pape musulman? Jamais! Neanche per idea o sogno! Nos bagnoles vrombissent, rugissent, elles font trembler les arbres et les façades sur leur passage… Allez, retournez à vos planches à dessin et faites-moi un moteur électrique qui fasse autant de boucan qu’un ouragan de force 5!»
Le capo di tutti capi de Fiat a ainsi confirmé ce que nous autres, simples mortels, soupçonnions depuis longtemps: les bolides ne servent pas à aller d’un point A à un point B mais plutôt à empoisonner la vie des citoyens. Vrouououm-vrououm! Réveillons ceux qui dorment après avoir trimé dur, réveillons ceux qui font la sieste avant de reprendre le boulot, réveillons les vieillards, les malades et les bébés! Réveillons les morts! C’est la devise de tous ces moul’ l’Ferrari qui nous pourrissent la vie.
En économie, on appelle ça un «bien positionnel». On l’acquiert non pas parce qu’on en a besoin, mais parce qu’il sert à nous positionner tout en haut de l’échelle sociale. Un sac est un sac; mais un Gucci n’est pas un sac, c’est un message: «Je suis riche.» Une montre est une montre; mais une Richard Mille RM 11-03 à 332.000 euros est une insulte: «Je vaux plus que toi, pauv’ con!»
Cela dit, un sac Gucci ou une montre Richard Mille ont la décence de ne pas nous casser les oreilles. Et ils ne risquent pas non plus de nous écrabouiller au rond-point ou sur l’autoroute. C’est pourquoi on peut hausser les épaules devant la bobo au Gucci ou le bogosse à la Mille. Mais il faudrait sévir contre les excès des poseurs au volant de leur mortel engin.
À propos de moul l’Ferrari, qu’est-il devenu? Il est sorti de tôle? En quatrième vitesse?
PS: Le correcteur me fait remarquer que les Ferrari ont sept vitesses. Désolé, l’ami, j’en suis resté à l’époque où l’expression «en quatrième vitesse» désignait le summum de la vélocité. Il est vrai que je ne roule ni en Ferrari, ni en Maserati mais dans un petit véhicule fabriqué à Tanger et qui me convient parfaitement.