Sur la page Facebook «Le Salama, Restaurant & Bar, Marrakech», les avis des internautes sur l’endroit sont à ce point différents que deux camps peuvent être aisément distingués.
D’un côté, les internautes aux noms étrangers qui ne tarissent pas d’éloges sur le restaurant : «bonne cuisine», «accueil professionnel et irréprochable», «décoration digne des mille et une nuits».
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De l’autre, les profils d’internautes marocains, lesquels tous, sans exception, dénoncent le racisme qui sévit dans cet établissement qui aurait toujours refusé de leur ouvrir ses portes.
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La polémique ne date donc pas d’hier, car les critiques sur les réseaux sociaux dénonçant cet «apartheid» existaient déjà en 2017 si l’on remonte le fil d’actualité de cette page Facebook dédiée à ce restaurant, alors même que cet établissmement n'affiche plus les avis des clients sur sa page officielle.
Mais dernièrement, l’affaire a pris une telle ampleur que la presse s’en est saisie, faisant ainsi écho au mécontentement des clients, en particulier l’expérience vécue par Amira Azzouzi, photographe marocaine (et Instagrammeuse).
En juillet, celle-ci avait dénoncé dans une story sur Instagram le racisme à l’encontre des Marocains que pratique le restaurant Le Salama, d’où elle aurait été refoulée par un videur, qui aurait prétexté que l’endroit était complet tout en laissant entrer, dans le même temps, des touristes étrangers sans même leur poser de question.
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Cette version donnée par Amira Azzouzi, l’établissement Le Salama la conteste fermement. Contacté par Le360, l’établissement s'est défendu de toute sélection de ses clients en fonction de leur origine, et nie même formellement avoir jamais été en contact avec cette Instagrammeuse.
Hajar, responsable de ce restaurant, nous affirme ainsi en substance: «nous sommes un restaurant marocain, en plein Marrakech, sur la place Jemaâ El Fna, le patron est marocain et nous sommes tous des Marocains. On ne refuse pas de Marocains, tous les clients sont les bienvenus».
Pour cette responsable qui travaille dans le restaurant Le Salama, cette polémique serait basée sur de fausses accusations: «s’il y a des gens qui veulent faire le buzz pour parler, tant pis, on ne peut pas faire taire toute une communauté».
Et de se défendre: «vous pouvez aller voir sur nos comptes Instagram et Facebook les commentaires des clients marocains qui sont venus chez nous, qui étaient contents et qui ont posté leurs photos chez nous. Et ça remonte à plusieurs années, car cela fait tout de même 10 ans qu’on existe. Comme par hasard, on parle de ça cette année seulement?»
Pour vérifier les dires de Hajar, nous sommes allés sur les réseaux sociaux de l’établissement et faute de pouvoir distinguer les nationalités des uns et des autres, une chose apparaît clairement au vu des photos postées: à l'intérieur du restaurant, tous ceux attablés sont beaux, stylés et bien sapés.
Blonds, bruns, afros, caucasiens, latinos, méditerranéens, tous les genres sont ici représentés, mais toutefois incarnés par des personnes au physique avantageux. La présence de stars est également à noter, de l’acteur américain Robert Pattinson au créateur italien Roberto Cavalli.
Compte tenu de la communication qu'il réalise sur ses réseaux sociaux, Le Salama se veut un endroit «hype», où même le tarbouche avec lequel posent les clients le soir venu, devient un accessoire de mode ultra-tendance.
«Notre porte est ouverte à tout le monde. Pour les clients avec des critères, qui peuvent venir chez nous en famille, ou en couple avec grand plaisir», explique Hajar.
Des clients «avec critères»? Qu’entend-on par là? «Tous types de clients je veux dire. On ne fait pas entrer des clochards. Je veux dire que la tenue, l’habillement compte», explique encore cette responsable.
Nous demandons donc à Hajar si la personne chargée de l’accueil se réserve-t-elle le droit de refuser des clients si leur tenue n’est pas jugée appropriée à l’endroit?
«Ça doit être une tenue correcte. En fait, comme c'est le cas pour tous les établissements. C’est tout à fait normal» nous répond Hajar.
Mais quid de ladite influenceuse et photographe qui aurait mis le feu aux poudres? «Je n’ai aucune idée de ça. Ce n’est pas vrai. Nous n’avons pas contacté cette personne», conclut Hajar avant de nous inviter à venir faire un tour au Salama où dit-elle de nombreuses personnalités comme Redone, qui est Marocain, sont déjà venues.
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Le360 a donc contacté Amira Azzouzi, la photographe à l’origine de ce bad buzz, pour connaître sa version des faits et récolter les preuves de ses dires.
Amira nous explique ainsi que l’affaire remonte au début de l’été 2018 mais qu’elle n’a souhaité partager cette expérience sur instagram qu’en février de cette année.
«Au moment de l’incident je n’en ai pas parlé sur instagram mais seulement à mes proches. Mais une amie à moi a subi la même chose dans un établissement de Taghazout et ça m’a donné envie d’en parler car c’est devenu monnaie courante au Maroc que des établissements huppés soient exclusivement réservés au touristes. Je me suis dit que c’était injuste, qu’il fallait que quelqu’un en parle» nous explique-t-elle.
Et de poursuivre, «à Marrakech, Le Salama a cette réputation de refuser les Marocains, et spécialement les Marocaines, surtout si tu ne viens pas accompagnée, que tu viens seule ou entre filles.»
Peur du racolage? «Je pense oui. C’est de la ségrégation, de la misogynie de considérer toutes les Marocaines comme des prostituées.»
Mais revenons aux faits. Amira la jeune photographe poursuit: «Ca remonte à l’année dernière, au début de l’été 2018. Ils m’ont contacté sur mon compte instagram, ils m’invitaient à déjeuner moyennant quelques photos. Je leur ai expliqué que je ne me prenais pas en photo car je ne suis pas une blogueuse. Je leur ai dit que j’étais derrière la caméra et que si je venais, ce serait accompagnée d’une amie pour faire une petite séance de portraits au Salama. Ils ont accepté. Le Community Manager m’a donné le numéro de téléphone du propriétaire, Noureddine, et il m’a dit de l’appeler quand je voulais. On a pris rendez-vous, pour un mercredi en journée, pour une meilleure lumière» explique Amira Azzouzi.
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«Le jour du rendez-vous, je me présente devant le restaurant et je me fait recaler par les videurs qui me disent que l’établissement est au complet, que si je n’ai pas de réservation, je ne rentre pas. J’ai essayé de leur exposer la situation, mais ils s’en foutaient. J’ai ensuite essayé de contacter le propriétaire plusieurs fois mais sans réponse. Puis, à un certain moment, arrivent deux touristes blonds qui eux entrent facilement, sans même qu’on ne leur pose de question. Ils leur ouvrent la porte, et ils entrent», poursuit-elle.
Amira Azzouzi décide donc d’en avoir le cœur net. «J’ai appelé le Salama le jour même pour réserver, en parlant en français. Je leur ai dit que je voulais réserver une table pour deux, dans une demi heure. La femme au téléphone me dit qu’il n’y a aucun problème, qu’on peut venir tout de suite. Je m’assure encore une fois au téléphone que l’établissement n’est pas complet et elle me rassure en me disant que non. Je lui ai dit que j’arrivais tout de suite, en lui donnant cette fois-ci mon nom et en lui expliquant que les videurs m’avaient pourtant refusé l'entrée en prétextant que le restaurant était complet, et là... elle m’a raccroché au nez.»
Pensant à une erreur, la jeune femme réitère son appel. «J’ai essayé de rappeler 5 ou 6 fois. Elle a fini par décrocher au 6ème appel, sans même s’excuser, puis m'a raccroché au nez une deuxième fois.»
«J’ai donc envoyé un message au Community Manager pour lui en faire part. Le message a été lu mais je n’ai pas eu de réponse. Du côté du propriétaire, rien non plus.»
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«J’ai des preuves, je n’ai pas inventé d’histoire. J’ai des screenshots de l’échange avec le Community Manager» affirme-t-elle en nous envoyant les photos de l’échange.