Casablanca: des services de base au compte-goutte

Les projets de raccordement aux services de base ont du mal à aboutir à Casablanca.

Les projets de raccordement aux services de base ont du mal à aboutir à Casablanca. . Le360 (photomontage)

Eaux, électricité, assainissement… Des services communaux élémentaires que la métropole n'arrive pas à assurer à l'ensemble de ses habitants. Même quand la Banque mondiale finance un programme ciblant 10.000 ménages sur quatre ans, des difficultés surgissent dans l'exécution. Enquête.

Le 22/11/2021 à 13h33

Dans une métropole qui concentre 4,2 millions de Marocains (12% de la population), raccorder 10.000 ménages aux services de base est censé être un projet de moyenne ampleur, pour ne pas dire élémentaire. Surtout quand il s'agit d'un programme étalé sur quatre ans et assorti d'un financement de la Banque Mondiale.

Le Prêt Programme axé sur les Résultats (PPR) accordé, en 2017, par l'institution de Bretton Woods au Conseil de Casablanca prévoit des décaissements de 40 millions de dollars (soit 20% de la totalité de l'emprunt) pour la connexion de 10.000 foyers à (au moins) un des réseaux d'eau, d’électricité ou d'assainissement. Des quartiers sous-équipés ont été identifiés par la Commune et la Banque mondiale qui incluent également des zones éligibles déterminées par la Convention de restructuration de 72 quartiers sous-équipés, fixés par le Programme de Développement du Grand Casablanca (PDGC).

Convention amendéeCette convention, une parmi une dizaine, signée devant le Souverain en 2014, prévoyait l'allocation de 2 milliards de dirhams pour assurer des équipements de base à plus de 56.724 familles vivant dans des quartiers disséminés sur six provinces et préfectures du Grand Casablanca. «La date d'achèvement de ce programme était initialement prévue pour 2018, avant d'être repoussée suite au montage financier avec la Banque Mondiale», nous explique un ancien élu de Casablanca.

Dans sa composante «accès aux services de base», cette convention a été ainsi amendée en décembre 2017 prévoyant un investissement de 250 millions de dirhams. Un montant destiné aux travaux permettant l’accès à domicile des services de l’eau et de l’assainissement à 25 quartiers parmi les 64 rentrant dans le champ d'intervention de la Lydec dans le cadre de cette convention. Seulement voilà: quatre ans tard, l'état d'avancement laisse à désirer, ne dépassant pas les 60%.

«Les ménages qui seront raccordés sont répartis principalement sur la Province de Nouaceur et sont donc très éloignés des infrastructures en place, les travaux à réaliser sont longs et nécessitent des financements importants», explique une source autorisée de la Lydec.

«Il reste encore des opérations en cours situées dans des zones rurales dépourvues d’infrastructures, en particulier pour l’assainissement. Leur réalisation demande de nombreux préalables mais également des financements complémentaires», admet, de son côté, Nabila Rmili, la nouvelle présidente du Conseil communal, qui prend progressivement le dossier en main.

Objectif compromisCette incapacité d'assurer les services de base est perceptible à l'échelle du programme, relativement modeste, de la Banque Mondiale. Le nombre de ménages bénéficiaires, retenu comme objectif de développement du prêt programme, devait progresser graduellement de 1500 foyers à fin 2018 jusqu'à atteindre les 10.000 ménages à fin 2021.

Sauf que lors de la dernière vérification effectuée en juin par la Banque Mondiale, les experts se sont rendus compte que cet objectif est définitivement compromis. «Suite aux analyses effectuées par la Lydec et discutées avec la Banque Mondiale, la cible finale de 10.000 ménages connectés à fin 2022, dans le périmètre géographique actuel et les délais de mise en œuvre du Programme semble difficilement atteignable», souligne clairement le rapport.

En fait, plusieurs opérations dans des zones faisant initialement partie du périmètre du programme ont été intégrées au schéma directeur d’assainissement. «Cela nécessitera de lourds investissements en hors site et prendra plusieurs années, dépassant le calendrier de mise en œuvre du Programme», nous explique une source proche du dossier. «Précisément, il s'agit des opérations couvrant les secteurs de Bouskoura, et de Lahraouyine sud», ajoute cet interlocuteur.

Nouveau périmètreLa Banque Mondiale tient toutefois à atteindre l'objectif fixé. Dans son dernier rapport, la mission exhorte clairement les autorités à engager en urgence les démarches nécessaires afin de stabiliser rapidement un nouveau périmètre.

«Il est urgent que la commune, en partenariat avec les parties prenantes impliquées, explore les différentes options pour garantir l’atteinte de la cible fixée dans le cadre du Programme, notamment à travers l’inclusion de nouveaux quartiers sous-équipés éligibles dans le périmètre du Programme pour bénéficier de connexions aux services essentiels. La Lydec, agence d’exécution en charge des activités, fera une première proposition dans ce sens, à discuter avec les différentes parties prenantes», indique le document de la Banque Mondiale.

Selon une source proche du dossier, l’examen de nouveaux périmètres à intégrer en substitution aux opérations restantes est en cours d’identification. «Lydec devait proposer des ajustements au périmètre des travaux au Comité de suivi du projet dès juillet dernier», affirme ce même interlocuteur.

Néanmoins, auprès de la société délégataire, rien n'est définitivement arrêté. «En accord avec la Banque Mondiale et les autorités locales, nous restons concentrés sur l’atteinte de l’objectif initial. Cependant, des délais supplémentaires pourront être nécessaires pour une réalisation optimale des travaux et la mise en place de leur complément de financement», affirme-t-on auprès de la société concessionnaire.

Délais & DécaissementsEn désespoir de cause, l'institution internationale a donc dû se résoudre à rallonger les délais, pour atteindre cet objectif. D'autant plus que les difficultés liées au contexte sanitaire ont ralenti le rythme d’exécution des travaux sur le terrain. «Un arrêt total a été observé sur la période entre mars et juin 2020, mais des efforts significatifs ont été réalisés à partir du mois de juillet», ont constaté les experts de la Banque Mondiale.

Précisément, un total de 1500 connexions additionnelles a été annoncé par la Lydec, qui s'ajoutent aux 4.069 ménages desservis auparavant. Si cela représente 93% de la cible prévue de connexion de 6.000 ménages en cumulé à fin 2020, les prévisions de réalisations ne permettent pas de dépasser les 7.500 foyers connectés à fin 2021.

Un nombre qui reste à vérifier, selon le processus d'évaluation établi dans la feuille de route fixée par la Banque Mondiale. Des vérifications qui se basent sur la liste des bénéficiaires établie par Lydec, ainsi que des procès-verbaux de réception de la réalisation des travaux. «Il y a aussi la vérification physique de la connexion sur la base d’un échantillon aléatoire d’au moins 5% des ménages bénéficiaires», nous explique une source proche de l'Unité de gestion de projet (UGP), qui coordonne l'état d'avancement des travaux avec les experts de la Banque mondiale.

© Copyright : Source: différents rapports

La prochaine mission de vérification aura lieu dans les jours à venir. Elle permettra de valider les nouveaux ménages bénéficiaires des services communaux qui déterminera les nouveaux décaissements pouvant être réalisés. Car pour chaque foyer raccordé, 4000 dollars peuvent être mis à la disposition de la commune de Casablanca. «Jusqu’ici, à peine 40% du montant du prêt a été décaissé suite aux évaluations de 2018 et 2019», nous confie cette source à l’UGP, qui reste confiante quant à de nouveaux décaissements suite à la future mission.

Remettre sur la bonne voie ce projet reste primordial, pour respecter les engagements de Casablanca avec cette institution internationale, de même que pour préserver la crédibilité de sa signature auprès des bailleurs de fonds. D'autant plus que le Conseil de la ville aura besoin de plus en plus de financements pour réconcilier l'agglomération avec ses habitants, en réduisant les inégalités croissantes et la pauvreté persistante. Environ 150.000 personnes vivaient dans des conditions de précarité extrême, selon la cartographie de la pauvreté de 2014. Et ce nombre ne fait que croître d'année en année dans une métropole où le solde migratoire est structurellement positif… Décidément, Casablanca est une métropole qui incarne, à elle seule, tous les défis d'urbanisation du pays.

Par Fahd Iraqi
Le 22/11/2021 à 13h33