Depuis que le roi Mohammed VI a chargé la commission gouvernementale de faire des propositions réformatrices du Code de la famille, c’est le tohu-bohu. La plupart des partis politiques et des dizaines d’associations féministes ont été reçus par la commission. Ils n’ont qu’une idée obsédante en tête: œuvrer pour la cohésion de la famille. Leurs déclarations à la presse marocaine, qui mettent en avant une ou deux mesures phares de leurs programmes, sont toujours ponctuées d’un «c’est pour la cohésion de la famille...». C’est le concept à la mode qui circule en ce moment dans les salons feutrés des politiques.
Néanmoins, ces acteurs importants qui cherchent à gagner le combat du Code de la famille, font des propositions disparates, contradictoires, même quand elles font parties d’un même programme. Mais tout le monde affirme détenir les clefs magiques pour diffuser cette cohésion de la famille dans la société. C’est un peu comme si toutes les nations du monde s’affirmaient, du jour au lendemain, démocratiques.
La notion de «cohésion de la famille» a été introduite par Sa Majesté le Roi dans la Lettre adressée fin septembre au chef du gouvernement. La commission doit l’appliquer dans la révision du Code de la famille. Mais quel sens lui donnent les acteurs de la société qui ont été consultés?
Le concept est radical, c’est-à-dire fondamental. Il doit équilibrer le Code de la famille et faire chuter les statistiques de divorce qui sont en hausse vertigineuse. C’est ce qui ressort des derniers chiffres du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), couvrant les années 2017 à 2021.
Si durant cette période 1,17 million d’actes de mariage ont été authentifiés, il s’avère que 588.769 divorces ont été enregistrés. Soit 322,6 désunions par jour. Le pourcentage des divorces par rapport aux mariages est passé de 45% en 2017 à plus de 51% en 2021. L’année de la pandémie de Covid-19 a marqué un record avec 55%. Le divorce pour cause de discorde (Chiqaq) vient en tête avec plus de 421.036 cas. Des synonymes de la discorde seraient: incohésion, incohérence, désaccord des personnalités du couple.
L’évolution du divorce au Maroc a connu ces derniers temps des changements inquiétants. En 2020 et 2021 (respectivement 51% et 55%), les couples marocains ont plus divorcé qu’ils ne se sont mariés. Plus d’un couple sur deux a divorcé.
La vitalité d’une démographie saine se mesure au nombre croissant des mariages et des naissances. Les divorces, quand ils se multiplient dans le tissu social, sont un symptôme profond qui interpelle sur la mésentente et les conflits entre femme et homme. Cela signifie également qu’il y aura moins d’enfants.
La cohésion de la famille, en psychologie, est un concept utilisé par les thérapeutes pour désigner la capacité des deux parents à exiger et à appliquer des règles de façon similaire et à avoir une vision commune de l’éducation et de la discipline pour leurs enfants. Cela évite qu’un des deux parents n’intervienne face à un comportement qu’un enfant présente alors que l’autre parent le tolérerait. Cette cohérence parentale favorise chez les enfants, entre autres, un sentiment de sécurité. Quand ils sont témoins d’une entente parentale sur les règles à respecter, ils grandissent dans un univers serein et productif. Un foyer non névrosé par le discorde des adultes.
Pour les psys, c’est la preuve que les parents savent se parler et décider ensemble, qu’il n’y a pas de frustration, pas d’autorité suprême, que la parole est «une» et univoque. C’est la cohérence de la famille. Un couple gagnant communique bien et intelligemment et saura dénouer tous les fils retors de l’existence.
La communication entre les parents, et entre ces derniers et leurs enfants, est au coeur du concept royal.
À contrario, l’incohésion de la famille a plusieurs origines. Elle se nourrit de l’inadéquation et de la dysharmonie des deux adultes qui contractent un mariage. Elle s’abreuve aussi de nos traditions et de certaines de nos lois dans le Code de la famille.
Comment l’obtenir, cette situation de cohérence? C’est la question à un million! Y répondre, c’est enrayé la hausse des divorces au Maroc. Y répondre signifie aussi enrayer les statistiques de la violence conjugale, psychologique ou physique, où le pas est franchi lorsque la communication, la parole dans le couple s’estompent.
Le vrai combat pour la parité est surtout une bataille invisible pour l’instruction, la prospérité économique, l’ouverture sur le monde de la femme et de l’homme.
Les propositions faites pour le Code de la famille doivent innover et penser autrement le couple. Les enjeux attenants sont civilisationnels.
Soyons des jumelles puissantes qui rapprochent le lointain. Les lois que nous allons promulguer auront une durée de vie d’à-peu-près vingt ans. C’est ainsi que s’anticipe une génération nouvelle.