À Casablanca, on ne vient plus seulement au café pour siroter un espresso. On y vient pour jouer une partie de Mario Kart, débattre du dernier épisode de One Piece, disputer un Monopoly en famille ou simplement s’évader du quotidien. Ces dernières années, les cafés à thème connaissent un essor fulgurant dans les grandes villes marocaines, répondant à une quête nouvelle de lieux d’expression personnelle.
À Spirit Gaming, situé en plein cœur de la capitale économique, le ton est donné dès l’entrée: écrans, consoles et tables de jeux de société cohabitent dans un décor pensé pour les joueurs, ponctué de néons colorés et de jeux de lumières qui renforcent l’immersion.
Son propriétaire, Adnane El Abbadi, est passionné de gaming. L’ambiance au Spirit Gaming le confirme: certains clients jouent casque sur les oreilles, concentrés devant leurs écrans, tandis que d’autres laissent le son libre, laissant échapper par moments le bruit d’un but sur FIFA ou celui des tirs dans une partie de combat. Il explique: «Je suis gamer et j’ai l’habitude d’organiser des soirées jeux de société chez moi. Je me suis dit: pourquoi ne pas réunir les deux univers dans un seul espace? De cette manière, chacun peut y trouver son compte comme les familles, par exemple, où les parents jouent à des jeux de société pendant que leurs enfants sont sur la PlayStation.»
Ce mélange des générations est assumé. À côté, on aperçoit un groupe qui met la manette de côté pour commander un café ou une boisson gazeuse, pendant que d’autres éclatent de rire autour d’un jeu de plateau. «Les jeunes sont majoritaires, mais ça dépend de l’heure. Le soir, ce sont surtout des adultes qui viennent après le travail. La journée, des enfants. Le week-end: des familles», détaille-t-il. Plus qu’un équipement, c’est l’esprit du lieu qui attire: «Les gens ne veulent pas juste jouer. Sinon, ils ont une PlayStation chez eux. Le client veut parler. Quand il vient ici, il cherche un aspect social.»
Une réflexion partagée par Anas, 27 ans, qui travaille dans les achats et fréquente régulièrement l’établissement: «Je viens pour me défouler avec mes amis. Ça me sort du train-train quotidien. C’est confortable, on est bien servis et les prix sont abordables. Pour la jeunesse, c’est quelque chose de positif.» Et quand on lui demande pourquoi venir ici plutôt que d’aller chez un ami, la réponse est simple: «Sortir, rencontrer de nouvelles personnes, boire un café dehors, ça change.»
Même constat du côté d’Idris, 13 ans, venu avec sa mère et son petit frère pour une soirée jeux de société: «C’est un endroit adapté aux familles. Cosy, calme. J’adore les jeux de société. C’est très intéressant.» Tous les trois sont installés autour d’une table parsemée de cartes, concentrés mais visiblement complices: entre deux coups joués, ils échangent quelques mots et laissent parfois éclater un rire.
À quelques kilomètres de là, Gum Gum Bubble plonge ses visiteurs dans l’univers de One Piece. Dès l’entrée, des affiches et figurines des personnages accueillent les clients comme s’ils montaient à bord du Going Merry. Les murs sont habillés des portraits Wanted de l’équipage, des figurines trônent sur des étagères comme des trésors trouvés en mer et une bande-son tirée de l’animé résonne en fond. Les boissons, servies dans des gobelets aux couleurs des héros, portent les noms de Luffy, Zoro ou Nami. Certains clients prennent des photos devant le mur signature, d’autres comparent leurs épisodes préférés autour d’un Bubble tea. Ici, on ne consomme pas seulement une boisson: on embarque symboliquement avec l’équipage de Luffy pour un voyage dans l’imaginaire.
«Je suis passionné de manga. J’ai travaillé treize ans dans la restauration à Paris dans des concepts à la mode. Je voulais faire un Bubble tea, mais différent. Alors je me suis dit: pourquoi pas un bubble tea manga?», raconte Abdelilah, fondateur du lieu. alors qu’il verse délicatement une boisson aux couleurs de Luffy dans un gobelet.
Autour de lui, les clients se déplacent entre les tables, certains admirant des figurines ou prenant des photos du local. Pour Abdelilah, One Piece n’est pas qu’un thème, c’est un véritable état d’esprit. «C’est une philosophie de vie. Liberté, ambition, dépassement de soi.» Sa voix se fond dans les rires d’enfants et le tintement des pailles que l’on plonge dans les gobelets de bubble tea.
La clientèle est variée: des adolescents discutent des derniers épisodes, des mamans s’installent confortablement pour regarder leurs enfants jouer avec les figurines, tandis que d’autres prennent le temps de savourer leur boisson dans l’ambiance sonore et colorée du café. «Je pensais que ce serait ma génération, mais avec l’adaptation Netflix, on a beaucoup de nouveaux, surtout des jeunes, des mamans, des enfants.» confie Abdelilah en observant les différentes interactions dans l’espace.
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Mohammed Taha, client fidèle, s’installe à sa table favorite, un sourire aux lèvres en observant les décorations: «Je viens parce que ça parle de mes passions. C’est un endroit où je me sens à l’aise. Comme si je passais du monde réel au monde irréel, dans ce qui m’inspire.» Les autres clients échangent, rient ou discutent, créant un va-et-vient vivant qui transforme chaque coin du café en mini-scène tirée de l’univers manga.
À côté, Youssef, père de famille, ajoute: «Ce sont mes enfants qui m’ont fait découvrir le concept. On s’ouvre sur d’autres cultures. On voit de plus en plus de concepts comme celui-ci. La diaspora marocaine ramène d’ailleurs des influences de l’étranger.» Son regard se promène sur les murs, les étagères, les couleurs vives et les objets soigneusement disposés, capturant l’essence du lieu.
Alors, on sort?
Plus qu’une tendance, ces espaces témoignent d’un changement de comportement. On ne se réunit plus seulement autour d’une table, mais autour d’un univers. «Tout fonctionne à Casablanca. Si tu fais quelque chose avec passion, tu réussiras, car la communauté y est», insiste Adnane.
À l’heure où les interactions sociales se digitalisent, ces cafés proposent l’inverse: se retrouver en présentiel autour d’un centre d’intérêt commun. Et ce, qu’il s’agisse de jeux vidéo, de mangas, ou demain, peut-être de sport ou de science.








