A Marrakech, les passionnés d'astronomie se donnent régulièrement rendez-vous, dans une ambiance bon enfant, sur le toit d’un établissement hôtelier. Leur soirée se passe à scruter le ciel nocturne, avec un télescope géant, un Ritchey-Chrétien.
Mais depuis quelques années, la pratique de l’astronomie en amateur emballe peu de monde, exception faite de phénomènes rares comme la détection de jets exceptionnels de rayons gamma dans l’espace, car aujourd'hui, pros comme amateurs préfèrent découvrir l'infinie étendue des constellations sur leur smartphone. «Comment voulez-vous contempler le ciel dans une ville aussi illuminée?», se désole cet astrophysicien rencontré dans la soirée d'hier, samedi 17 décembre 2022.
La pollution lumineuse nuit en effet, depuis Marrakech, à la qualité des observations du ciel nocturne. Pour embrasser du regard, dans la région, l'infinie étendue de l'espace, il faut prendre de l’altitude, et se rendre à l’Oukaïmeden, où, de nuit, les étoiles sont plus nettes. «Pour vous donner un ordre d’idée, c’est à peine si on peut observer des dizaines d’astres à Marrakech. Dans l’Oukaïmeden par contre, vous êtes aux premières loges pour contempler des milliers d’étoiles!», explique Sébastien Vauclair, astrophysicien, fondateur d’un bureau d’études spécialisé dans la pollution lumineuse.
S’il devient difficile pour les amateurs d’astronomie de repérer les principales constellations en pleine ville, c’est en raison de l’immense halo ocre qui plane au-dessus de Marrakech et ses communes rurales environnantes.
«La pollution lumineuse générée par la ville et les communes rurales autour commence même à gêner la qualité du ciel de l’Oukaïmeden. Si rien n’est fait, ce halo lumineux englobera bientôt l’observation à l’Oukaïmeden», s'alarme Sébastien Vauclair.
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L'alerte que donne cet astrophysicien n'est pas récente. D'où un «projet de réserve de ciel étoilé», initié par l'Association d'Astronomie Amateur (3AM), qui a été soumis en 2019 à Nezha El Ouafi, qui était à cette période secrétaire d’Etat en charge du développement durable. «Le gouvernement El Othmani II en avait pris connaissance, une réunion était prévue, mais le projet était tombé à l’eau avec la pandémie», résume Zouhair Benkhaldoun, le directeur de l’Observatoire de l'Oukaïmeden.
Un projet ambitieux, qui est aujourd'hui une priorité des résolutions qui ont été adoptées au cours de l'assemblée générale de 3AM. Pour Zouhair Benkhaldoun, en effet, il faut «redonner une nouvelle impulsion à ce projet afin de préserver en priorité cette région du Haut Atlas, qui se trouve autour du parc national du Toubkal, et qui comprend l’observatoire de l’Oukaïmeden, afin de la protéger contre la pollution lumineuse».
En plus de gâcher aux amateurs du Dark Sky leur rituel préféré, la pollution lumineuse est également reconnue comme l'un des facteurs aggravants de la perte de la biodiversité. Alors que cette prise de conscience de ses effets sur l’environnement est aujourd’hui portée par les passionnés de l’astronomie, le fait de sensibiliser à un éclairage responsable devrait profiter au développement territorial, en particulier aux habitants des montagnes du Haut Atlas, dont le mode de vie varie selon les saisons. Voilà donc, pour cette ville ultra-fréquentée qu'est Marrakech, une nouvelle niche touristique au potentiel encore intact...