Jamila B., 56 ans, habite à Casablanca. Divorcée, sans emploi et deux garçons non scolarisés à charge, elle vivote grâce à la générosité de certains membres de la famille et de quelques connaissances. Sa demande de bénéficier des aides sociales directes décidées par le gouvernement a été rejetée. Comme des milliers de Marocains, elle a été victime du «Mou’achchir», cet indice socio-économique retenu pour définir qui peut, ou non, bénéficier de ces aides directes. Notre interlocutrice dit être «coupable» d’habiter un deux-pièces mis à sa disposition par un membre de la famille dans un quartier «correct» de la capitale économique, d’avoir un réfrigérateur, une véritable antiquité, et de disposer d’un accès à Internet sur un smartphone offert par un ami.
Elle a tapé à toutes les portes possibles et imaginables, mais rien n’y fait. Son indice socio-économique reste figé au-delà de 9,74.
Mode de calcul biaisé?
Lors de la préparation du grand chantier des aides sociales directes (ASD), le gouvernement a fait appel au Haut-Commissariat au plan (HCP) pour baliser le terrain et mettre en place un indice socio-économique. Cet indice varie d’abord selon les régions, les villes, voire les quartiers de résidence. Aussi déterminant est le critère du nombre des membres de la famille et les dépenses de consommation. Les experts du HCP ont basé leurs calculs sur la situation de quelque 4.000 familles. Et le système mis en place est sans pitié. «Les autorités publiques ont bien retenu la leçon des aides versées pendant la crise de la Covid-19 et ne veulent pas répéter les mêmes erreurs qui ont fait que des personnes en ont bénéficié de manière indue», commente un cadre du ministère de l’Intérieur à Casablanca.
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La famille qui désire bénéficier des ASD doit d’abord s’inscrire sur le Registre social unifié (RSU), puis sur le site dédié aux ASD (asd.ma). Après le remplissage de plusieurs formulaires, la réponse est générée automatiquement. Ce qui réduit à néant toute possibilité d’intervention humaine. Une fois obtenu le fameux indice, le demandeur est déclaré éligible ou non. Des voies de recours, il en existe soit en rectifiant, sur le même site, des données jugées inexactes, soit en s’adressant aux autorités (arrondissements du ministère de l’Intérieur).
«Bon courage pour celui qui voudrait suivre cette voie avec les longues files devant les guichets des moqataât», se désole un père de famille qui habite Mohammedia et qui a vu sa demande d’ASD rejetée.
Une source au ministère de l’Intérieur à Casablanca rejette la responsabilité des cafouillages constatés sur les demandeurs eux-mêmes. «Lors de la procédure, plusieurs demandeurs fournissent des réponses erronées ou se fient trop aux propriétaires des cybercafés payés pour remplir leurs demandes», accuse cette source qui recense un florilège de données généralement inadmissibles: aucune consommation de gaz butane par exemple ou le fait d’omettre de déclarer un bien loué à des tiers…
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Dans la majorité des cas, les demandeurs qui fournissent des données inexactes ignorent que la plateforme des demandes des ASD est reliée à d’autres plateformes qui aident à vérifier leurs déclarations. Un fonctionnaire du secteur public, un salarié du secteur privé déclaré à la CNSS ou un retraité n’ont pas droit aux ASD et il n’est pas sorcier de les dénicher en cas de tentative de fraude. S’ils prétendent aux ASD, ils tomberaient sous le coup de la loi.
4 millions de familles bénéficiaires à fin mars 2024
«Une poignée de personnes recalées ne doit pas faire douter de tout un grand chantier mis en place sur hautes instructions du Roi», tranche un cadre du ministère de l’Intérieur à Casablanca, très impliqué dans les projets de protection sociale. Et c’est le même son de cloche du côté du gouvernement. «Les inscriptions sont toujours ouvertes et les chiffres évoluent positivement d’une semaine à l’autre. En même temps, on travaille à rectifier d’éventuels dysfonctionnements», affirme une source gouvernementale.
De manière officielle, Mustapha Baïtas, porte-parole du gouvernement, avait déclaré le 28 mars dernier que le nombre des familles qui bénéficient déjà des ASD avoisine les 4 millions. Et que les adhérents à AMO-Tadamoun, qui a remplacé le RAMED, sont de l’ordre de 11,2 millions. Sur ce dernier point, pour une cotisation mensuelle allant de 144 à 174 dirhams, toute la famille bénéficie d’une couverture médicale dans les secteurs public et privé.
Présentation devant le Parlement avec ses deux chambres, le 27 octobre 2023, de la déclaration de Aziz Akhannouch sur les ASD.
Dans la province de Sefrou, Said R. est ouvrier agricole. Journalier, ce père de trois enfants ne bénéficiait d’aucun système d’aide sociale. Désormais, c’est chose faite. Début février, il a ouvert un compte en banque pour s’inscrire au RSU. Début mars, il a reçu ses premières ASD: 600 dirhams pour ses trois enfants scolarisés en guise d’allocations familiales. «C’est mieux que rien et cela aide à boucher des trous», commente ce père de famille qui va bénéficier de ces allocations familiales jusqu’à ce que ses enfants atteignent l’âge de 21 ans.
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Pour rappel, les aides sociales directes ont été instaurées en application de la loi-cadre 09.21 sur la protection sociale. Ce régime vise à améliorer les conditions de vie des familles ayant des enfants en âge d’être scolarisés ou celles en situation de fragilité et qui ne bénéficient actuellement d’aucune aide familiale. Il s’agit de leur offrir un filet de protection sociale et soutenir leur pouvoir d’achat. Le minimum que peut percevoir une famille chaque mois est de 500 dirhams, comme l’avait décidé le Souverain.