Seize siècles plus tard, le prophète de l’islam ordonna le jeûne de cette journée. Quand le jeûne de Ramadan fut obligatoire, celui d’Achoura devint une sunna, non obligatoire mais recommandée.
Fête spirituelle, de générosité, de charité et de joie pour les musulmans sunnites, Achoura est un deuil pour les chiites: c’est la date de l’assassinat de Hussein, petit-fils du Prophète décapité par le califat omeyade, et de sa famille (680).
La discorde entre musulmans est née après le décès du Prophète, qui n’avait pas désigné son successeur. Les sunnites reconnaissent les trois premiers califes, successeurs du Prophète. Les chiites ne reconnaissent qu’Ali, cousin et gendre du Prophète qui, pour eux, était le successeur légitime.
Les Chiites représentent 10% à 15% des musulmans, majoritairement Iraniens et Irakiens.
La ville de Karbala, en Irak, lieu de l’assassinat de Hussein, reçoit des centaines de pèlerins chiites qui se flagellent jusqu’au sang. Certains, vêtus d’un linceul, se frappent la tête pour saigner. Ils utilisent des chaînes en fer.
Au Maroc, nous disons, face à une grande agitation, «nayda karbala». Une expression liée aux processions de Karbala.
Achoura est fêtée différemment par les Sunnites. Au Maroc, les rituels diffèrent de région en région.
C’est d’abord silate arrahim. Silate signifie rencontrer, atteindre. Arrahim vient de miséricorde: obligation religieuse de conserver les liens familiaux et amicaux en se rendant mutuellement visite pour le plaisir et pour alkhir (bonne action), c’est-à-dire pardonner et continuer «à respecter ces liens même quand ses proches les rompent» (hadith du Prophète).
On pense aux proches qui nous ont quittés: visiter les tombes, y faire lire le Coran, offrir de l’argent et des fruit secs aux démunis.
La zakat, troisième pilier de l’islam: faire aumône d’une partie des biens acquis pendant une année, soit 2,5%. Pour certains religieux, cela ne concerne que l’argent thésaurisé. Pour d’autres, il s’agit même des bijoux, bétail et autres biens.
Fête des chants et de la musique. Lors de l’Aïd el-Kébir, les peaux des moutons, tannées, servent à fabriquer des tamtams, bendirs et autres instruments à percussion.
En acheter est un rituel sacré. Dans les quartiers populaires et à la campagne, les rues se transforment en symphonies de chants populaires, symphonies qui s’échappent également des maisons.
Un rituel qui se perd chez les jeunes générations connectées. Les chants populaires marocains sont d’une grande diversité et d’une beauté incontestable, variant selon les régions et les tribus. Ils se transmettaient de génération en génération par les parents et la famille au sens large du terme. Aujourd’hui, avec la nucléarisation des foyers et Internet, les regroupements des jeunes entre familles, voisins et amis pour chanter au son des tamtams dans l’espace public ou dans les foyers se perdent. Regrettable! Tout un patrimoine musical amazigh, arabe et judaïque risque de disparaître.
Fête de la liberté des jeunes filles et des femmes, qui avaient le droit de sortir s’amuser et chanter dans la rue. Elles échappent au contrôle des hommes. Elles se font belles et chantent en cœur: ‘ichouri ‘ichouri, dallite ‘like ch’ori. Hada ‘aychore ma’lina hkame alalla, aïd almiloud yhakmou rjal alalla (mon ‘ichour, pour toi j’ai dénoué mes stresses. A ‘aychour, personne ne nous commande, à l’Aïd Al-Mawlid (anniversaire du Prophète), les hommes nous commandent.).
Certains gardent elgueddide (viande salée séchée) de l’Aïd el-Kébir et la queue du mouton salée et séchée au soleil pour agrémenter le couscous d’Achoura.
Les fruits secs, al fakya, font partie du menu. C’est l’opulence. Il faut se rassasier pour que l’année soit faste. Les femmes se coupaient les pointes des cheveux afin qu’ils poussent généreusement.
C’est la fête des enfants, qui reçoivent cadeaux, sucreries, nouveaux vêtements….
C’est la fête de «Baba Aychour», personnage légendaire. Il aurait été un sage qui collectait de l’argent auprès des habitants pour offrir des friandises, des fruits secs et un diner aux enfants démunis. C’est notre Père Noël.
Il serait mort noyé dans la rivière alors qu’il faisait ses ablutions pour prier, d’où une chanson: guedida marmiyya bin la’wad, baba ‘aychour ja itwada dah alwade.
Les enfants gardent l’os du gigot de l’Aïd el-Kébir pour en faire une poupée qu’ils déposent sur un plateau et font le tour des maisons et des passants pour demander haque baba Aychour (la part). Leur butin sert à faire la fête la nuit, après avoir enterré les poupées en chantant et en jouant des tamtams.
Est-ce une manière de commémorer le décès de l’imam Hussein ou baba ‘aychour, de banaliser la mort ou un rituel portant sur la mort et le renouvellement de la nature?
Dans certaines régions, Achoura est la fête du carnaval: des défilés d’hommes et de femmes portant des masques.
La nuit, les pétards explosent les tympans, malgré l’interdiction de les importer à cause des incidents.
C’est aussi chouâala, grands feux autour desquels on danse.
Le lendemain d’Achoura, zamzam, du nom du puits miraculeux à la Mecque. Enfants et adolescents aspergent les passants d’eau. Pas toujours agréable, surtout que ces dernières années, des jeunes attaquent avec des œufs crus!
Achoura est l’occasion de purifier les maisons des mauvaises ondes en les embaumant de bonnes odeurs venant de plantes que l’on brûle.
La veille d’Achoura serait propice, comme celle du 26ème jour du ramadan, pour la magie blanche: grigris pour fidéliser l’être aimé, attirer la chance, être apprécié de tous, supprimer les énergies négatives… Une aubaine pour les herboristes!
Assouggasse afoulki, sana saïda. Joyeuse Achoura!