Le Rapport sur le développement dans le monde 2024, que vient de publier la Banque mondiale, aborde la problématique de l’évolution vers des économies à revenu élevé, qui fait face à de grands obstacles. Cette nouvelle étude, portant sur une centaine de pays, met en relief cette contrainte: la nécessité de définir une feuille de route permettant aux pays en développement d’échapper au «piège du revenu intermédiaire». De quoi s’agit-il? Sur la base des données du demi-siècle écoulé, il apparaît que les pays à revenu intermédiaire (PRI) tombent généralement, à un certain stade, dans ce qui est qualifié de «piège»: la stagnation de leur PIB par habitant, à environ 10% de celui des États-Unis, pratiquement l′équivalent de 8.000 dollars en 2024.
Ce chiffre est retenu par la Banque mondiale comme étant au milieu de la fourchette des pays classés dans la catégorie des «PRI». Aujourd’hui, on compte 108 pays retenus dans ce palier, dont le PIB annuel par habitant est compris entre 1.136 et 18.345 dollars. Sont concernés 75% de la population mondiale, dont les deux tiers vivent dans l’extrême pauvreté, ils génèrent plus de 40% du PIB mondial; et contribuent à plus de 60% des émissions de carbone.
L’économiste en chef de la Banque mondiale, Indermit Gill, estime que «la bataille pour la prospérité économique sera en grande partie gagnée ou perdue dans les pays à revenu intermédiaire». Ceux-ci, en majorité, mettent en œuvre des stratégies dépassées ne leur permettant pas d’atteindre le stade des économies avancées. Une nouvelle approche s’impose à l’évidence, articulée autour de l’investissement d’abord, et des nouvelles technologies importées de l’étranger ensuite. Une stratégie couplant investissement, infusion et innovation, les «3 i». Un processus progressif axé sur le passage d’un cran à un autre en adoptant des technologies de l’étranger et en les diffusant dans les circuits économiques. Au stade du revenu intermédiaire supérieur, les pays doivent poursuivre la phase d’innovation. Une croissance soutenue devra être consolidée par des réformes et par une bonne dose de volontarisme.
Un autre modèle stratégique donc, qui fait toutefois débat. Ce dernier est centré, entre autres, sur la mise en cause du critère de «revenu par habitant», utilisé pour appréhender le niveau de développement, pour lui substituer un autre indicateur, celui du critère de «vulnérabilité». Le développement ne doit plus faire à partir d’une vision biaisée, finalement peu opératoire. Il doit prendre en compte d’autres critères: caractère inéquitable du commerce mondial, manque d’accès aux financements, règles anticoncurrentielles, taille des pays, fardeau de la dette, effets des changements climatiques, etc. Il importe dans ces conditions de s’atteler au traitement des «vulnérabilités systémiques» de ces pays et de prendre en compte les réalités «hétérogènes» des PRI. L’on a parlé à cet égard de la «tyrannie du PIB», dont il faut sortir comme le recommande le PNUD. Comment? Avec l’élaboration d’un nouvel indice de développement moins coupé de la réalité. Cette préoccupation, avance la Banque mondiale, intègre désormais la nature «multidimensionnelle» de la pauvreté, fondée sur de nouveaux critères spécifiques aux PRI. Même le FMI, connu pour son orthodoxie, s’est ouvert aux vulnérabilités et aux conditions d’accès aux marchés. L’OCDE s’est également ralliée à cette inflexion en relevant que ce sont les pays émergents qui fournissent les meilleures opportunités économiques.
Mais croissance économique ne signifie pas mécaniquement développement durable, tant s’en faut. La Commission économique pour l’Afrique (CEA) insiste pour sa part sur le renforcement de la coopération Sud-Sud avec comme pivot «l′innovation, la science et la technologie». Les pays du Sud doivent se développer en empruntant une autre voie que celle des pays développés -les exemples les plus frappants sont ceux de la Chine, du Brésil ou encore des «Tigres asiatiques». Le multilatéralisme doit prévaloir, et la communauté internationale doit s’intéresser davantage aux PRI. Le Programme de développement durable de l′ONU 2030 aura à mobiliser des ressources financières et techniques à cette fin, l’augmentation «durable et prévisible» des ressources locales devra accompagner cette politique, et des politiques de redistribution auront également à élargir la base fiscale. La durabilité du développement et la réduction des inégalités sont le prix de ce nouveau modèle stratégique.