Témara: ce que l'on sait du scandale qui a coûté son poste au gouverneur Youssef Draiss

Youssef Draiss, gouverneur suspendu de la préfecture de Skhirat-Témara.

Youssef Draiss, gouverneur suspendu de la préfecture de Skhirat-Témara. . Le360 : Adil Gadrouz

En début de soirée du lundi 24 octobre 2022, le ministère de l’Intérieur a annoncé la suspension de Youssef Draiss, gouverneur de la préfecture de Skhirat-Témara, ainsi que de six agents d’autorité et de deux cadres administratifs du même département. Que s’est-il passé exactement? Eléments de réponse.

Le 25/10/2022 à 15h28

C’est un vrai séisme qui a secoué la préfecture de Skhirat-Témara lundi 24 octobre en début de soirée. Le gouverneur Youssef Draiss, après plus de quatre ans en poste, a été suspendu. La même sanction a été prise à l’encontre de six agents d’autorité, des caïds, selon des sources contactées par Le360, et de deux cadres administratifs de la même préfecture.

Dans la même soirée de lundi, des dizaines d’habitants de Témara ont investi les artères principales de la ville pour manifester leur soulagement de voir les responsables du ministère de l’Intérieur débarqués. Ces mêmes habitants, deux jours auparavant, assistaient, impuissants, à la démolition de plusieurs immeubles dans des lotissements du quartier Al Qods.

Le communiqué du ministère de l’Intérieur n’a pas précisé exactement ce qui est reproché à ses cadres à Témara, se limitant à évoquer des violations des législations relatives à l’urbanisme.

Contactée par nos soins, une source autorisée au département de Abdelouafi Laftit a refusé de fournir le moindre commentaire, affirmant que ce ministère ne pouvait faire de déclaration sur le sujet puisque l’affaire fait l’objet d’une instruction judiciaire. Laquelle instruction est menée par la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) sur la base des conclusions de l’Inspection générale de l’administration territoriale (IGAT).

«Les inspecteurs de l’IGAT ont travaillé sur cette affaire pendant deux mois et leur rapport est des plus accablants. Le reste de l’enquête va être effectué par la BNPJ, et par la suite, le cas échéant, par un juge d’instruction», affirment nos sources.

Une zone de non-droitIl est de notoriété publique que les villes et localités comme Témara, Skhirat ou encore Harhoura ont fini par devenir des zones de non-droit et cela depuis plusieurs années pour ne pas dire plus.

Les promoteurs immobiliers, certains, pour ne pas généraliser, y font la pluie et le beau temps avec la complicité de grands réseaux, constitués par certains élus et cadres de l’administration. Des projets immobiliers ont fleuri, un peu partout, parfois de façon sauvage sur le littoral, avec l’aide des élus et des autorités locales, alors que la lutte contre l’habitat insalubre, qui aurait dû constituer une priorité, a été laissée quasiment à l’abandon.

«On oublie que le centre de Témara abrite peut-être le plus grand bidonville du Maroc, celui qu’on surnomme Douar Jamaica avec quelque 20.000 habitants et qui plus est à quelques encablures du siège de la préfecture. Comment a-t-on permis une telle chose?», s’interroge une source qui connaît bien la région.

Les facilités dont a bénéficié Gya Foncière, l’entreprise qui a construit les immeubles, qui ont provoqué l’ire du ministère de l’Intérieur contre un gouverneur et six agents d’autorité, sont l’objet de toutes les conversations à Témara et ses environs.

Mbarek El Yamani, PDG de Gya Foncière, qui a construit des centaines d’immeubles à Témara, se défend de toute violation des législations relatives à l’urbanisme. Sur la page Facebook de son entreprise, il publie certaines autorisations qui l’ont habilité à exercer dont plusieurs portent la signature du maire Zouhair Zemzami (passé du PPS au RNI).

Dans des déclarations à nos confrères de Chouf TV, il affirme qu’il disposait de toutes les autorisations nécessaires aussi bien pour lotir que pour ce qui est des permis d’habiter ainsi que des attestations de bureaux d’études. Pour les autorisations qu’il n’a pas pu obtenir, Mbarek El Yamani affirme que la loi est de son côté. Explications: en l’absence d’une réponse, positive ou négative, deux mois après le dépôt de la demande, la législation stipule que cela équivaut à une autorisation tacite.

Des zones d’ombrePour autant, le patron de Gya Foncière n’aurait-il rien à se reprocher, lui qui présente carrément l’activité de son entreprise comme relevant du caritatif puisqu’il travaille avec l’Etat pour le relogement des habitants des bidonvilles depuis des années?

Loin de là, répondent nos sources. Les inspecteurs de l’IGAT lui reprocheraient, entre autres dysfonctionnements, d’avoir mis la main sur deux grands lots de terrain destinés pour l’un à un espace vert et pour l’autre à la construction d’une mosquée.

Mais seule l’enquête en cours pourrait, ou non, le laver de tout soupçon. En attendant, il y a un autre mystère qui entoure cette affaire. S’il y a des dépassements et des violations de la loi, cette entreprise aurait-elle agi seule ou qu’avec la complicité des agents et cadres de l’Intérieur?

Quel a été le rôle des élus? Où était passée, par exemple, l’agence urbaine qui intervient dans ce genre d’affaires? Des questions pour lesquelles on aura des réponses une fois l’instruction close avec, éventuellement, de grosses surprises. C’est aussi l’enquête en cours qui fixera la responsabilité de chacun.

Pour le moment, selon nos sources, les agents, cadres du ministère de l’Intérieur, tout comme le patron de Gya Foncière, sont libres de leurs mouvements. Mais doivent, cependant, rester à la disposition des enquêteurs.

Par Mohamed Chakir Alaoui et Mohammed Boudarham
Le 25/10/2022 à 15h28