Dans un article («Élection présidentielle en Algérie. En avant toute vers la stagnation»), paru le mardi 4 juin 2024, le webmédia Orient XXI, spécialisé dans les affaires du monde arabe, dresse le portrait de l’actuel (et futur) président algérien, non sans se demander pour quelles raisons il est assuré de rempiler pour un second mandat alors que rien, absolument rien, dans son bilan quinquennal ne l’y prédestine.
Jean-Pierre Sereni, ancien rédacteur en chef de plusieurs journaux français dont L’Express et auteur de cet article, rassemble dans une seule phrase l’ascension fulgurante de Tebboune, passé de simple préfet durant les années 70, au rang de wali, puis de ministre, voire d’éphémère Premier ministre en 2017, un poste dont il a été renvoyé trois mois plus tard.
Une façon de montrer qu’au cours de ce parcours dans les hautes sphères de la fonction publique algérienne, il n’y a absolument rien à retenir, mis à part le fait que «diplômé de l’École nationale d’administration (ENA) locale à 25 ans, préfet à 40, ministre à 45, le principal fait d’armes de Abdelmadjid Tebboune aura été d’encercler Alger, la capitale, de milliers de logements sociaux aussi laids que décatis, faute d’entretien».
Cette déclaration sous-entend clairement que des faits de corruption sont prêtés à Tebboune dans la construction bâclée de ces logements, en plus d’autres affaires, dont certaines liées à des trafics de drogue, dans lesquelles ses enfants et lui, voire son épouse, sont mouillés jusqu’au cou.
Ce sont d’ailleurs ces mêmes casseroles que traîne Abdelmadjid Tebboune qui ont permis à Ahmed Gaïd Salah, sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika, d’écarter le président désormais défunt sous la pression de la rue, pour jeter son dévolu sur Tebboune, qui ne pouvait qu’accepter le deal que lui proposait celui qui était alors le chef de la junte algérienne, ancien chef d’état-major de l’ANP de 2004 jusqu’à son décès, en décembre 2019.
Selon les termes du deal qu’il avait conclu, Abdelmadjid Tebboune, dont l’un des fils croupissait déjà en prison pour des faits liés à des trafics de drogue, s’est retrouvé à être épargné du pénitencier d’El Harrach, où une cellule lui était déjà réservée, et a été pressenti, à la surprise générale, pour remplacer Abdelaziz Bouteflika.
«L’échec du cinquième mandat de Bouteflika, contesté par la rue, ouvre en mars 2019 le chemin du pouvoir au général Gaïd qui le (Abdelmadjid Tebboune, Ndlr) désigne comme son candidat», écrit Jean-Pierre Sereni.
Moins d’un mois après l’élection-parachutage de Tebboune, le général Gaïd Salah meurt subitement, livrant ainsi les rênes du pouvoir à ses adversaires, qui ne tarderont pas à se venger de lui en s’en prenant violemment à tous les hommes de son système.
«Les équipes de Gaïd sont décimées, victimes d’une impitoyable épuration qui n’épargne ni les civils ni les militaires. Tebboune est l’un des rares rescapés» car s’il a survécu à cette purge, c’est parce qu’il s’est rapidement mis aux ordres du nouvel homme fort de l’armée et de son clan, en leur signant un blanc-seing pour toutes les décisions que l’armée voudrait bien prendre.
Un effacement volontaire, doublé d’une incapacité à se hisser au niveau des exigences de la fonction présidentielle, qui n’a pas tardé à montrer les limites de Tebboune, particulièrement en ce qui concerne la communication et la diplomatie.
En effet, les sorties médiatiques de Tebboune, bien que réalisées avec la complicité de patrons de la presse du pouvoir, triés sur le volet, n’ont jamais pu être diffusées en direct à la télévision, à cause des bourdes légendaires de «Ammi Tebboune», comme l’appellent avec sarcasme les Algériens.
Un quolibet qui tourne en dérision ses chiffres mirobolants, qui n’ont rien à voir avec la réalité, comme celui du milliard et demi de mètres cubes d’eau de mer dessalés quotidiennement, annoncé du haut de la tribune de la dernière Assemblée générale de l’ONU, ou ses anecdotes mensongères, comme celle relative à de prétendus échanges de cadeaux entre l’émir Abdelkader et le premier président américain, George Washington, qui serait mort avant la naissance du héros algérien.
Sur un plan diplomatique, l’Algérie est tout simplement devenue un paria de la communauté internationale et régionale sous l’ère Tebboune, qui a par exemple été contraint de rater le dernier sommet de la Ligue arabe à Manama, au Bahreïn parce que ses conseillers et son ministre des Affaires étrangères n’ont pas réussi à lui trouver des tête-à-tête avec ses homologues arabes. Un seul chef d’État aurait accepté une rencontre avec Tebboune en marge du sommet arabe.
Auparavant, il n’avait même pas osé assister au sommet des BRICS, tenu en Afrique du Sud l’été dernier, pour y défendre la candidature de son pays, après avoir assuré à ses compatriotes que l’entrée de l’Algérie au sein des BRICS était totalement acquise.
Que dire de sa récente tentative de créer un bloc maghrébin sans le Maroc, manœuvre à laquelle se sont opposés aussi bien la Libye que la Mauritanie, l’obligeant à rétropédaler en donnant son aval à la nomination d’un nouveau secrétaire général de l’UMA, conformément aux termes du traité de Marrakech de 1989.
En plus de cet isolement international et régional, avec les pays du Sahel qui ont tourné le dos à Alger, la situation sur le plan interne est loin d’être reluisante, car l’ensemble des voyants sont quasiment au rouge et les ingrédients d’une explosion sociale imminente sont réunis, devant la cherté de la vie, la rareté des produits de première nécessité et la stagnation économique malgré des prix des hydrocarbures au plus haut, sans compter l’absence totale de liberté d’expression qui a conduit des centaines d’activistes politiques et des dizaines de journalistes en prison.
Orient XXI écrit donc que le bilan du premier mandat de Tebboune «est désastreux, que ce soit le sien ou celui des militaires. Le régime connaît la période la plus répressive de sa courte histoire. Les libertés publiques, déjà réduites, n’existent pratiquement plus. On emprisonne les parents pour amener les fils en fuite à se rendre aux autorités. Les journalistes sont réprimés, les journaux fermés à la suite de manœuvres qui ne trompent personne, leurs chefs sont embastillés et ceux qui les financent intimidés ou dégoûtés. Les étrangers, qu’ils appartiennent à la presse ou au monde des ONG, attendent durant des mois des visas rarement accordés».
Pour l’élection présidentielle de septembre prochain, Tebboune est donc loin d’être «l’homme de la situation», conclut Jean-Pierre Sereni, rendant ainsi hommage au journaliste algérien Ihsane El Kadi qui a écopé de cinq ans de prison pour avoir imploré les généraux dans un article de presse, leur demandant de ne pas reconduire Tebboune pour un second mandat présidentiel.