Soufisme et convergence des religions

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

ChroniqueVoici une semaine, le Cercle Cicéron-Gabriel Banon a organisé à Casablanca un ftour débat sur le thème «Soufisme et convergence des religions», qui a fait l’objet d’une intervention de Faouzi Skalli. Anthropologue et président du Festival de la culture soufie, qui se tient annuellement à Fès depuis 2007, il vient de se voir confier par l’Académie du Royaume la chaire «Géopolitique des cultures et des religions». Le débat a été introduit par l’ancien ministre Mohamed Berrada, et Jean-Luc Martinet, coordonnateur du Cercle et modéré par le signataire de cette chronique.

Le 27/03/2025 à 17h00

Le conférencier s’est posé cette première question: pourquoi la production de la mise en scène d’un narratif aujourd’hui remplace-t-elle avantageusement la vérité et la réalité des choses? Il estime que notre époque prend davantage en compte l’image plus que la réalité; que l’on serait entré dans «période de post-vérité ou de vérité parallèle»; et que «les mots finissent par signifier le contraire de ce qu’ils sont supposés dire».

Cette question du rapport à la vérité a été au cœur du questionnement d’un grand soufi du 12ème siècle Al Ghazali (1058-1111). Il a développé les interprétations et les positions des jurisconsultes et des théologiens asharites à propos de «la croyance en l’unicité et l’éternité de Dieu, un Dieu sans substance ni forme, qui ne ressemble à aucune chose et auquel aucune chose ne ressemble, un Dieu omniprésent, omniscient et omnipotent, un Dieu doué de vie de volonté, de vue et de parole». Il était l’un des plus grands savants de son temps. Pourtant, il avait un doute profond sur sa foi en Dieu et l’interrogation sur une «vérité ultime et transcendante donnant sens à l’existence». Faouzi Skalli a présenté à cet égard trois niveaux de vérité chez ce philosophe: la vérité physique, celle de la raison et enfin celle éprouvée à travers «une expérience spirituelle». Là, on est proche de ce que disent les soufis. Il a rappelé que c’est dans cette dimension intérieure que se situent le «but et le cœur de toute religion». Ce qui permet de «goûter par le cœur» et non pas de «démontrer par la raison». Le Coran ne dit pas autre chose ailleurs: «N’ont-ils donc pas parcouru la terre, en ayant des cœurs pour comprendre, ou des oreilles pour entendre? Ce ne sont pas leurs yeux qui sont aveugles, mais ce sont leurs cœurs qui sont dans leurs poitrines» (Sourate Al-Hajj, 22:46).

Précisément, ce qui rapproche les religions du monde, n’est-ce pas cette expérience spirituelle? À travers les millénaires et les espaces que retrouve-t-on? Les termes d’une même expérience de sagesse; ils se déclinent ainsi en des lumières et des tonalités différentes à travers un prisme: celui d’une même lumière transparente. Tous partagent avec des expressions différentes ce fait: il y a une Vérité ultime et divine elle est la Source de toute existence. La convergence entre les religions donc, symbolisée par plusieurs chemins différents. Le philosophe arabo-andalou Ibn Arabi (1165-1240) dont l’œuvre domine la spiritualité islamique depuis le XIIIème siècle a longuement développé le voyage d’une conscience et d’une transformation intérieure menant vers cette vision universelle. L’on peut également citer Djalâl al-Dî Rumi (1207-1273), mystique persan qui a profondément influencé le soufisme, qui l’a écrite en ces termes: «Ô musulman, je ne suis ni juif, ni chrétien, ni zoroastrien, ni musulman, Je ne suis ni de l’Orient, ni de l′Occident, ni de la terre, ni de la mer. Ma Miséricorde embrasse toute chose dit le Coran. C’est cette miséricorde universelle qu’invoque Rumi? Viens, viens qui que tu sois, mécréant, idolâtre ou païen, viens! Notre maison n’est pas un lieu de désespoir. Même si tu as rompu cent fois tes vœux, viens encore!»

Cette réalité universelle prend en charge «la singularité et la légitimité de chaque voie et de chaque chemin». Des conflits entre les religions ont marqué certaines périodes de l’histoire; au sein même de deux religions parce monothéistes (Islam et Chrétienté), les schismes n’ont pas manqué par ce que l’on a voulu s’approprier la Vérité d’une manière exclusive; dans certains cas, un fragment a conduit à échafauder une interprétation et une théorie voire même une théologie. Or, seul le dialogue peut aider à éviter les divisions et l’altérité et favoriser des convergences. Le tronc commun, c’est quoi en dernière instance? Un humanisme. La recherche d’un chemin de transcendance. Une liberté de pensée de recherche et de créativité par et avec la spiritualité. Les religions, c’est un référentiel et un socle de dialogue et de paix. Le Maroc a consacré cette vision dans la Constitution de 2011 (diversité des cultures, valeurs d’ouverture aux autres cultures et civilisations). La visite du Pape François le 30 mars 2019, à l’invitation de S.M. Mohammed VI, Amir Al Mouminine, témoigne de la philosophie religieuse du Royaume. «L’Appel d’Al Qods», lancé par le Souverain pontife et S.M. le Roi, illustre bien un symbole de coexistence pacifique des religions.

Reste que les religions font face à de grands défis: celui du repli et de l’instrumentalisation; celui du développement des nouvelles technologies; celui de leur impact sur les valeurs universelles de transcendance, de spiritualité et d’humanité. En somme, «civiliser» ces nouvelles technologies, en particulier par des processus d’éducation et d’acculturation.

Par Mustapha Sehimi
Le 27/03/2025 à 17h00

Bienvenue dans l’espace commentaire

Nous souhaitons un espace de débat, d’échange et de dialogue. Afin d'améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.

Lire notre charte

VOS RÉACTIONS

@Mustafa Sehimi. Je veux bien que le soufisme soit une expression spirituelle intéressante de la religion de manière pacifiée, apolitique etc. Mais on ne se pose pas la question pourquoi ce courant attire autant l'occident et les occidentaux, voire les états. Eh bien la réponse est simple. Le soufisme qui est lui même très influencé par le mysticisme chrétien se focalise beaucoup plus sur l'individu et sa relation transcendante. En somme il ne s'occupe ni de oumma, ni de gestion de la cité, ni des rapports de force politiques. Le soufisme est tel un lion sans griffes, un purificateur des âmes certain mais inoffensif sur le plan positiviste, c'est à dire politique, économique etc. De l'autre côté du spectre on a son opposé qui est le salafisme quiétiste. Bizarrement les deux se détestent.

Beaucoup de pratiques soufies sont aux antipodes de l'islam. Hadith d'Aïcha (qu'Allah l'agrée) : « Quiconque introduit dans notre affaire ce qui n'en fait pas partie, cela est rejeté. » est considéré comme un principe important pour mettre en garde contre les innovations, car il indique que tout ce qui est introduit dans la religion sans fondement dans la loi sacrée est rejeté. Le soufisme suscite des avis divergents parmi les oulémas : certains critiquent les pratiques qu'ils jugent innovantes et éloignées des enseignements traditionnels, mettant en garde contre l'exagération et les concepts philosophiques potentiellement contradictoires avec la théologie islamique ; d'autres, en revanche, lui reconnaissent de la valeur. وفي الحديث النبوي ، ورد: "فمن اتقى الشبهات استبرأ لدينه وعرضه".

Bien dit

0/800