Qui sont ces Marocains qui tentent de rallier Sebta? Et où est le gouvernement?

Des migrants essayant vainement de prendre d’assaut Sebta. (AFP). AFP or licensors

Ils sont jeunes, parfois mineurs, sans instruction ni perspectives d’avenir, et nombreux à tenter de fuir leur pays vers Sebta et, de là, vers l’Europe. Ils n’ont pour vis-à-vis que les services de sécurité qui tentent de les en empêcher. En réalité, le mal est bien plus profond et l’approche sécuritaire n’est que le dernier rempart quand tous les autres ont failli, dans l’incompréhensible indifférence d’un gouvernement qui préfère, toujours, regarder ailleurs.

Le 16/09/2024 à 14h58

Qu’on se le dise: ce qui s’est passé ce week-end sur le passage entre Fnideq et Sebta est très grave. À rebours de la marche du pays vers une prospérité partagée, des centaines de mineurs et de jeunes adultes sont venus nous rappeler que le chemin qui y mène est encore long. Très long. Dimanche 15 septembre, ils étaient des centaines de candidats, majoritairement marocains, à risquer le tout pour le tout pour rallier le préside occupé de Sebta. À la faveur d’appels au ralliement lancés sur les réseaux sociaux, et souvent au prix de leur vie.

Leur motivation: l’absence de toute perspective d’avenir. Très jeunes, ces candidats ne sont qu’un échantillon de ceux qu’on appelle par le terme barbare de NEET (sans emploi, ni formation, ni éducation). Il n’est pas rare de les croiser au coin des rues de nos villes, petites comme grandes, à errer tout au long de la journée ou à la nuit tombée. Leur seul objectif: fuir un quotidien pénible, où le temps s’éternise.

Il aura fallu une mobilisation impressionnante des forces de l’ordre pour venir à bout d’une tentative de passage, dont le marqueur est que ces desperados des temps modernes n’ont hésité devant rien. Pour les en empêcher, et en dehors du dispositif mis en place in situ, plusieurs barrages installés aux entrées de nombreuses villes.

À l’arrivée, le repli de ces vagues de candidats sur les hauteurs de Fnideq, le refoulement massif vers les villes d’origine et des forces de l’ordre toujours déployées en grand nombre sur les lieux. Le corps d’un migrant a entre temps été repêché, ce même dimanche, sur la plage de Fnideq par la Protection civile et en amont, soixante personnes, dont des mineurs, ont été interpellées entre le 9 et le 11 septembre dans plusieurs villes pour «fabrication et diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux incitant à l’organisation d’opérations collectives d’émigration clandestine».

Le travail des forces de l’ordre est pour le moins admirable. Pour le seul mois d’août, plus de 11.300 tentatives d’émigration irrégulière ont été avortées et, depuis le début de l’année, 45.015 ont été mises en échec. S’y ajoutent 177 réseaux d’immigration illégale démantelés. Mais est-ce assez? La réponse sécuritaire suffit-elle à endiguer ce qui s’apparente à un véritable fléau? Tant s’en faut, et le plus déplorable est qu’à la date aujourd’hui, aucune réaction officielle du gouvernement ne s’est fait entendre.

Pendant que les forces de sécurité se démènent pour endiguer «l’offensive» des migrants, le Chef du gouvernement, lui, ainsi qu’une grande partie de sa majorité et de ses ministres, se pavanent à Agadir. Pour celles et ceux qui l’auraient raté, Aziz Akhannouch et compagnie se gargarisaient ce même week-end de discours d’autosatisfaction avant, pendant et en marge de la 5ème édition de l’Université de la jeunesse du Rassemblement national des indépendants (RNI). Un mot sur les événements? Que nenni. Une stratégie pour amorcer un sauvetage de cette même «jeunesse»? Il va falloir repasser. Un discours de vérité sur la situation sociale d’un pays qui couve encore 1,5 million de ces mêmes NEET, candidats idéaux à la traversée Fnideq-Sebta? Pour Akhannouch, les NEET n’existent même pas.

Tout comme le chômage endémique qui ravage un pays où l’informel, pourtant le premier employeur, est considéré par le gouvernement comme une donnée marginale. Il oublie que ce sont justement ces millions de jeunes qui évoluent en marge de toute stratégie gouvernementale, de tout intérêt de nos élus, petits et grands, qui aujourd’hui tentent l’impossible.

Le gouvernement entre indifférence et dérapages

En réaction, l’attitude est pour le moins insolente. On s’en souvient, le Chef du gouvernement, censé faire face à une véritable honte nationale, au chômage ou encore au manque total de perspectives, préfère ne pas voir ces armées de jeunes désespérés. Et gare à ceux, y compris les institutions constitutionnelles, qui oseraient tirer la sonnette d’alarme et sortir le gouvernement de sa douce torpeur. Le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Ahmed Reda Chami, l’a appris à ses dépens le 9 mai dernier, au lendemain de la publication d’un rapport sur les NEET, une situation où se trouvent 4,3 millions de Marocains, dont 1,5 million pour la seule catégorie d’âge comprise entre 15 et 24 ans.

Le phénomène, d’une immense ampleur donc, illustre une forme d’inefficacité des actions des différents gouvernements qui se sont succédé, et menace la cohésion et la stabilité sociale en alimentant vulnérabilité et inégalités et en menant à des scénarii comme celui de ce week-end à Fnideq. Que trouve à répondre le chef de l’exécutif? Il «constate que le timing de publication du rapport de ce conseil coïncide avec la présentation de (son) bilan», «espère que ce n’est qu’un hasard» et, magnanime, accorde au CESE «le bénéfice du doute». C’est dramatique.

Aziz Akhannouch n’en est pas à son premier dérapage s’agissant des instruments de bonne gouvernance dont le Maroc ne peut être que fier. Le «brief» ayant réuni les directeurs de publication des principaux médias du pays, en février dernier, au lendemain de la publication par le Haut-Commissariat au plan (HCP) de son rapport sur le chômage, est un secret de polichinelle. Son objet n’était d’ailleurs autre que de jeter «légèrement» le discrédit sur les chiffres alarmants présentés par le HCP, notamment un taux de chômage record, dépassant les 13%, et plus de 500.000 emplois détruits en 2023.

Des chiffres récusés par l’exécutif, qui soutient que le HCP n’a recensé que 500.000 postes d’emplois rémunérés créés en 2023, alors que la CNSS en a dénombré 350.000. Mieux, les 500.000 emplois en question n’auraient pas été détruits, mais seulement «occultés», certaines personnes ayant été tentées de mentir aux enquêteurs du HCP… pour profiter des aides sociales.

Aux vrais problèmes, l’exécutif a une autre préférence: un savant mélange de politique de l’autruche, de mépris et d’auto guili-guili. Pour les crises, le remède est le dos rond et la sourde vengeance. Autrement, quoi de mieux que d’attendre une initiative royale pour, juste après, tirer la couverture de son côté. Au travail, le vrai, l’équipe Akhannouch préfère faire semblant, tout en guettant chaque opportunité pour tirer plein profit de celui des autres. Il suffit.

Par Tarik Qattab
Le 16/09/2024 à 14h58