Que pèse la voix de Vox?

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueToma tomate! Des eurodéputés de Vox distribuant des tomates d’Almería dans les couloirs du Parlement européen pour dénoncer l’accord agricole UE–Maroc. Derrière l’opération de séduction à destination des syndicats agricoles andalous, une question: que vaut réellement la mobilisation de Vox sur les dossiers agricoles?

Le 13/12/2025 à 10h01

À Bruxelles, la réponse est d’abord arithmétique. Six députés sur 720, relégués dans un groupe marginalisé par le cordon sanitaire européen. Autant dire peu de poids, dans un hémicycle dominé par les grands équilibres PPE, S&D et Renew. Sauf qu’en deux mandatures, le parti fondé en 2013 est passé de zéro élu (1,6 % des voix en 2014) à 9,63% en 2024, installant sa présence au Parlement européen. Surtout, Vox s’est trouvé une députée hyperactive, Mireia Borrás Pabón, élue d’Almería, membre de la commission AGRI, déterminée à donner de la voix pour défendre les intérêts de sa circonscription.

Depuis l’automne, l’égérie des producteurs andalous fait preuve d’un activisme méthodique: proposition de résolution demandant la suspension de l’accord UE–Maroc et appelant au renforcement des contrôles aux frontières contre une concurrence marocaine jugée déloyale; tentative– avortée– de blocage des règles sur l’étiquetage des produits agricoles issus de Dakhla et Laâyoune; et pour finir l’année, un colloque sur l’accord agricole suivi d’une dégustation de tomates. Goût, prix, qualité, traçabilité: le réquisitoire contre la tomate marocaine est complet.

Vox, la voix des agriculteurs espagnols? La question vaut à Bruxelles, mais elle est d’abord nationale. D’autant que si Vox pèse peu au Parlement européen, le parti est la troisième force politique du Parlement espagnol, incontournable dans plusieurs régions, et solidement implanté dans les zones rurales. Sur le terrain agricole, le parti d’Abascal laboure efficacement et capitalise sur la colère paysanne, nourrie par la complexité des politiques européennes, les contraintes normatives, la baisse des revenus et la concurrence jugée déloyale des produits importés.

Face à un gouvernement de gauche qui gère les dossiers parmi les plus explosifs de l’histoire de l’agriculture européenne– réforme de la PAC et accord avec le Mercosur– Vox occupe le terrain. En 2024, alors que l’Espagne exerçait la présidence tournante de l’Union, Madrid considérait qu’après quasi vingt ans de négociations, la conclusion d’un accord commercial avec les pays sud-américains du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay) était «un objectif prioritaire». Si l’ensemble des syndicats agricoles ont manifesté leurs craintes, notamment pour l’élevage, le gouvernement Sanchez n’a jamais montré d’hésitation: si des filières risquent de souffrir, d’autres– comme l’huile et le vin– vont tirer profit d’un accord “nécessairement stratégique” selon les mots du ministre de l’Agriculture. Une ligne de crête assumée, mais exploitée par Vox dans les régions aux productions les plus menacées.

La bataille du Mercosur offre aussi à Vox l’occasion de se démarquer du Partido Popular– la droite «historique». Issu d’une scission du PP, Vox a prospéré sur les scandales de corruption qui ont affaibli celui-ci. Les deux formations ont ensuite gouverné ensemble dans plusieurs régions, avant que Vox ne rompe ces coalitions, par un désaccord sur la question migratoire, marqueur central du parti identitaire.

Désormais libéré de ses alliances– et des portefeuilles agricoles occupés par ses élus dans certains des gouvernements régionaux– Vox peut cultiver sans entraves ses différences avec le PP. C’est qu’à Bruxelles, le Partido Popular reste prisonnier des équilibres du PPE, largement favorable aux accords commerciaux. Sur le Mercosur, le premier groupe du Parlement européen, qui est aussi celui de Von der Leyen, cheville ouvrière de l’accord, a tout juste tenté de rallier les délégations françaises et polonaises, les plus opposées au projet, en soutenant un mécanisme de sauvegarde censé protéger les intérêts des filières. Une «usine à gaz», justement défendue par un eurodéputé espagnol du PP, au nom d’une «garantie solide», en réalité fragile, aux seuils flous, aux procédures lourdes et d’applicabilité incertaine.

Né dans le sillage d’une crise politique espagnole qui gagne désormais l’exécutif, Vox a pris son envol depuis l’Andalousie dès 2018, avant de progresser dans les territoires où se superposent tensions agricoles et pression migratoire. Jusqu’où ira sa dynamique? Assistera-t-on à une surenchère entre les deux droites espagnoles sur les dossiers agricoles? Le prochain test se jouera en 2026, précisément en Andalousie, «Jardin de l’Europe», à l’occasion d’élections régionales. On y verra si Vox chemine vers le pouvoir ou s’il est appelé à rester un parti de posture, sans prise durable sur les politiques nationales et les relations euro-marocaines.

Par Florence Kuntz
Le 13/12/2025 à 10h01