Moulay Hicham achète tout, y compris l’image d’un «intellectuel». Après le don de six millions de dollars fait à l’université Stanford en Californie pour financer le «programme réforme et démocratie», en vue de se forger une stature de démocrate-penseur, il récidive cette fois-ci dans le vieux continent avec un don tout aussi généreux au Saint Antony’s College, dépendant de la célèbre université d’Oxford en Angleterre. Ce deuxième don est plus éloquent sur le mode opératoire du prince. Il l’a fait dans l’objectif d’inscrire une thèse de doctorat (PHD) dans cette prestigieuse institution. Il n’a d’ailleurs pas choisi n’importe quel programme, ni n’importe quelle université. Le prince est venu s’introduire dans le «Middle East Center» à Saint Antony’s College, qui est lié par une convention, depuis 2004, à la société maroco-britannique, présidée par la princesse Lalla Joumala, ambassadrice du royaume à Londres. Ce centre bénéficie au demeurant de la bourse d’études du roi Mohammed VI qui vise à promouvoir les recherches sur le Maroc au Royaume-Uni. D’ailleurs, le premier titulaire de cette bourse, Michael Willis, occupe aujourd’hui le poste de directeur du «Middle East Center»
Un prince recalé
Moulay Hicham est donc venu inscrire une thèse de doctorat dans un centre qui dispense une bourse d’études du roi Mohammed VI. Encore une fois, Moulay Hicham vient se frotter à un terrain occupé par le souverain. Mais la différence de style entre les deux hommes est manifeste. Alors que le roi accorde une bourse en toute discrétion à des étudiants pour promouvoir les recherches sur le Maroc, Moulay Hicham donne de l’argent dans l’espoir d’inscrire une thèse en son nom. Le hic, c’est que les universitaires britanniques – les vrais, pas ceux qui vendent des thèses comme on vendait les indulgences avant la réforme de l’église chrétienne –, n’ont pas reconnu au doctorant les qualités requises pour soutenir une thèse. Les austères examinateurs d’Oxford ont conclu que le prince ne disposait pas des compétences requises pour élaborer un travail de recherche scientifique, qui devrait comporter entre 80.000 à 100.000 mots. Résultat des courses: la demande d’inscription de Moulay Hicham pour la préparation d’un PHD a été invalidée.
Les membres de cette commission ont sans doute gardé à l’esprit le scandale de la «London School of Economics», qui avait accordé à Seif Al Islam, le fils de Mouamar Kadhafi, le diplôme d’un doctorat dont il n’avait pas écrit un traître mot et ce, en contrepartie d’un engagement de la Libye à verser à cet établissement 1,5 million de dollars, sous couvert, bien évidemment, d’une aide à la recherche universitaire.
«Qatariq Ramadan» à la rescousse
La commission a disqualifié Moulay Hicham au grand dam du directeur du «Middle East Center», Michael Willis, qui craignait de voir s’évaporer le généreux don du prince. Et c’est là que «l’un des membres du centre va sauver la mise», confie à Le360 une source de l’entourage de Moulay Hicham. Il s’agit du célèbre théologien Tariq Ramadan qui, en plus d’être membre du «Middle East Center», est professeur d’études islamiques contemporaines à l’«Oriental Institute» du College Saint Antony’s. «C’est lui qui va pistonner le prince pour décrocher son statut de doctorant», poursuit notre source.
Sous la direction de Tariq Ramadan, Moulay Hicham veut traiter de «l’islamisme politique à travers l’étude de la pensée des mouvements islamistes modernes». Un thème qui correspond en fait au programme de la chaire d’enseignement créée depuis 2009 au College Saint Antony’s et dont la direction a été opportunément confiée au petit-fils de Hassan el Benna, le fondateur des Frères Musulmans, en vertu d’un accord de coopération entre le «Middle East Center» et «The Qatar Faculty For Islamic Studies» (Faculté pour les Etudes Islamiques à Qatar), qui fait partie de la fameuse «Qatar Foundation».
En clair, Moulay Hicham entend suivre des cours au sein de la chaire d’études islamiques contemporaines baptisée au nom de «His Highness Sheikh Hamad Bin Khalifa A-Thani» (l’émir déchu) et donc très officiellement financée par Qatar, qui, comme tout le monde le sait, a mobilisé l’ensemble de ses ressources matérielles et logistiques au moment du «printemps arabe», pour soutenir les «Frères Musulmans» et sponsoriser «les forces islamistes transnationales, afin de mettre à bas les ‘régimes autoritaires arabes’ et les remplacer par un ‘real-islamisme’, incarné par une bourgeoisie islamiste urbanisée, ouverte au business, type Ennahda en Tunisie», dixit le politologue Karim Sader.
Dès lors, on se pose des questions sur l’empressement (ou l'opportunisme) avec lequel Moulay Hicham a accepté la direction de son doctorat par celui que l’on surnomme «Qatariq Ramadan», depuis sa désignation en 2012, à la tête du «centre de recherches sur la législation islamique et l’éthique», basé à Doha. Ce centre ambitionne ouvertement d’ériger le Qatar en épicentre du wahhabisme, version XXIe siècle, afin de pouvoir régner en maître incontestable sur le monde sunnite.
Un réseau dans l’internationale islamiste
«En réalité, le refus des membres de la commission de ‘Middle East Center’ et l’apparition de Tariq Ramadan ont été une aubaine pour Moulay Hicham», explique notre source. Il ne pouvait espérer meilleur mentor pour étoffer son réseau auprès de l’internationale islamiste des «Frères Musulmans», dont il espère les appuis politiques et financiers en perspective de sa révolution de «cumin», qu’il a prédit pour février 2018, soit quelques mois à peine après la soutenance de son doctorat au Saint Antony’s College.
«L’idée de s’arrimer au Qatar lui a été inspirée par son autre mentor, dont il a fait la connaissance en 2012 et qui n’est autre que le Tunisien Rasheed Ghannouchi, le leader du mouvement islamiste Ennahda qui a su, depuis son exil à Londres, placer sa formation dans l’agenda politique des maîtres de Doha, et s’imposer comme la première force politique de Tunisie, au lendemain de "la révolution de jasmin", ayant chassé du pouvoir l’ex-président Ben Ali », ajoute notre source.
Le rapprochement avec l’internationale islamiste explique en grande partie la rupture définitive de Moulay Hicham avec ce qui reste du «Mouvement du 20 Février», pour s’investir dans le rapprochement entre les activistes marocains de «Al Adl Wal Ihssane» et de la gauche radicale, dont il vise, avec l’aide de la «Qatar Foundation», à devenir la figure de proue et ce, dans le but secret de se construire une légitimité politique similaire à celle de Ghannouchi.
Et voilà comment le projet d’un doctorat devient un programme politique, appelé à convertir une thèse à caractère universitaire en «livre vert» pour les apprentis-révolutionnaires du cumin.