Quand le Roi «descend» à Casablanca, la ville change, mue, gagne des points en matière de sécurité, d’ordre, de propreté. Et de civisme, s’il vous plaît. Un civisme forcé, me diriez-vous. Mais c’est toujours mieux que rien.
Pour de nombreux Casablancais, la présence du Roi est une bénédiction, un soulagement. Elle est porteuse d’un espoir. Celui d’une ville meilleure, mieux ordonnée, canalisée, plus compacte. Mais un espoir furtif, le temps d’une parenthèse qui s’ouvre et se referme à chaque ramadan.
Parce que le miracle, la magie, ne touche pas toute la ville. Casablanca, c’est trop grand, vaste, éparpillé. Le changement affecte les circuits royaux, ces artères et ces boulevards empruntés par le Souverain. Ou pas.
Imaginons le stress des élus de la ville, quelques jours avant. Ils ne sont pas stressés, mais tétanisés. Au point qu’ils en font trop. Ou comment laver plus blanc que blanc.
«Alors, demande le chef de division, est-ce que les trottoirs du parcours A sont remis à neuf?
- Oui, oui, s’écrie la chorale des intendants à l’unisson. Même ceux du parcours B, que notre Souverain ne devrait probablement pas emprunter.
- Et le parcours C, qui se trouve derrière?
- Chef, les trottoirs du parcours C viennent d’être refaits.
- Cassez-les et refaites-les de nouveau!»
Bon, j’exagère un peu. Mais j’emprunte tous les jours l’un de ces parcours. Et j’observe ce qui change. C’est spectaculaire, parfois à la limite du vraisemblable. Il y a un avant et un après. Le même scénario se répète tous les ans.
Le plus fascinant, c’est d’observer comment, après le passage du Souverain, les trous bouchés se creusent de nouveau, les trottoirs arrangés se défoncent, les plantes retombent vite en décrépitude, les arbustes élagués retrouvent leur «ghoufala» (coiffure broussailleuse), les façades ravalées perdent leur éclat, et tout redevient comme avant. Un éternel recommencement.
Alors, font-ils exprès? Ne sont-ils pas capables de tout bien faire, et une bonne fois pour toutes? C’est la faute au trottoir ou à celui qui l’a posé?
J’ai voyagé dans un pays lointain et j’ai vu comment, quelques heures avant le passage du président, des tapis et des moquettes, parfaites répliques de pelouses verdoyantes, sont collées au sol. Avant d’être décollées le lendemain.
Casablanca n’en rajoute pas à ce point. Et heureusement. Mais nous sommes donc dans une bulle, une parenthèse. Les deux sont magiques. Un ami me disait: «Quand le Roi est là, Casablanca se prend pour Rabat.» La réflexion est juste, son cynisme va droit au but.
Casablanca n’aura jamais la cohérence de Rabat, sa coquetterie, cet air qui semble vous dire que rien de grave ne vous arrivera, qu’ici tout est en ordre et en sécurité.
Mais ce n’est pas bien grave. Le temps de cette petite parenthèse, les Casablancais peuvent toujours rêver et se croire meilleurs… Avant de retrouver, vite fait, le chaos qui définit si bien la personnalité de leur ville!