Il a fréquenté des étudiants d’extrême gauche, des bassistes, à l’université, il jouait de la guitare et il est toujours un grand aficionado de grosses motos. Et il a été imam-prêcheur du vendredi et prédicateur pendant quatre décennies. Lui, c’est Aous Remmal, le nouveau patron du MUR, la matrice idéologique du PJD. Il vient d’être élu à la tête de l’organisation, devenant ainsi le dernier membre fondateur, et le plus âgé d'entre eux, à accéder à ce poste, a-t-il précisé dans un long entretien accordé à l’hebdomadaire Al Ayyam paru dans l’édition actuellement en kiosque.
Ancien prof de sciences naturelles, aujourd’hui SVT, au secondaire, puis inspecteur principal, il a mené en parallèle une vie de prédicateur et de théologien. Et comme tout islamiste qui se respecte, il a fini par obtenir un doctorat en chariâa, et de toute sa vie, il a gardé une passion pour les grosses cylindrées. C’est d’ailleurs à bord d’un six-cylindre d’une demi-tonne, d’une valeur de 500.000 dirhams, qu’il a parcouru plusieurs régions du Royaume avec sa femme. Il a même osé, avec des membres d’un club de motard, une symbolique virée dans les provinces du Sud. Ils étaient 350 motards à mener cette aventure. On l’aura compris, le chiffre renvoi aux 350.000 volontaires de la marche verte. Son amour pour les deux roues lui a souvent valu des remontrances de la part de Benkirane. «Lui et les autres frères craignent pour ma vie, ils gardent cette idée reçue que les accidents de la route font beaucoup plus de victimes parmi les motards», a-t-il confié.
S’il lui arrive encore très souvent, de haut de ses 65 ans, de faire de la moto, la guitare, par contre, c’est du passé. «Mes doigts ont perdu l’habitude et ils me font très mal quand je tente de gratter la guitare», dira-t-il. Depuis qu’il a intégré le mouvement islamique, assure-t-il, il ne trouve plus le temps de faire de la musique. «Faute de temps, j’ai été contraint de renoncer à ma guitare», dira-t-il des années plus tard.
Manifestement, il a légué cette passion à l’un de ses deux fils, qui, la trentaine bien entamée, vit encore dans le giron familial contrairement à son frère installé en France et à ses deux sœurs qui résident à Rabat et Temara. Dans sa jeunesse, le nouveau patron du MUR ne se contentait pas de jouer de la musique en privé. Il avait même formé un groupe avec lequel il s’est produit plusieurs fois, notamment au légendaire Cinéma Empire de la capitale spirituelle. Le groupe Achaouahid, en référence à son quartier Achouhada de Fès, faisait allègrement des allers-retours entre les répertoires de Nas El Ghiwane et Jil Jilala. Portraitiste à ses heures perdues, il garde toujours quelques-unes de ses réalisations, faites au crayon, en souvenir de ces temps où il avait encore assez de temps pour ses passions.
Natif de Fès, issu d’une famille de la bourgeoisie pieuse, il est le parfait produit de l’Islam marocain. La maison paternelle baignait souvent, et particulièrement pendant les fêtes religieuses, dans une atmosphère religieuse, et avec des séances de dhikr et de récitation du Coran. Ce qui ne l’a pas empêché de fréquenter des étudiants d’extrême gauche alors qu’il faisait ses études en biologie-géologie à la fac des sciences de Marrakech. Il fait partie, soit dit en passant, de la première promotion de cette fac, mais à peine décroché son DEUG, il a intégré l'ENS pour devenir prof de lycée.
C’était à cette époque, au début des années 80, qu’il a commencé à fréquenter un groupe de la «Jamaâa islamia». Affecté à Nador pour son premier emploi, il en a profité pour apprendre le rifain, monter un groupe de prédication dont les activités s’étendaient à Melilla et entamer une carrière parallèle de prédicateur et imam-prêcheur du vendredi. «J’ai appris le tarifit sur le tas grâce à un compagnon qui me disait qu’il éprouvait des difficultés à parler darija de bon matin.
Pour beaucoup de gens, ça faisait un peu bizarre de voir un fassi de pure souche parler aussi couramment le rifain». De son séjour à Nador, qui a duré 13 ans, il a également acquis sa réputation d’informaticien du mouvement islamiste. Depuis qu’il a acquis son premier ordinateur à crédit auprès d’un membre du groupe islamique installé à Melilla, il n’a plus renoncé à l’usage de la technologie de l’information aussi bien dans l’enseignement que dans la gestion des affaires de l’antenne de Nador de ce qui allait devenir plus tard le MUR. «C’est de cette époque qu’est née ma relation dialectique avec la technologie», confie-t-il. Cela au point que l’image que ses «frères» retiennent le plus souvent de lui est celle d’un homme emmêlé dans les câbles d’un PC.
Évidemment, comme on ne peut pas parler du MUR sans évoquer le PJD, il est difficile de parler du président du mouvement sans faire référence au secrétaire général du parti. On laissera cependant de côté le grand débat sur les liens entre le parti et sa matrice idéologique qu'il a longuement évoqué. Par contre, et malgré le fait que les deux hommes se fréquentent depuis quarante ans, il est rare qu’ils soient d’accord. «Avec Benkirane, nous avons des avis et des positions diamétralement opposés sur un grand nombre de questions», reconnaît-il. Dans l’une de ses questions, l’hebdomadaire a d’ailleurs relevé que Benkirane n'était pas totalement d’accord avec le fait qu’il soit élu à la tête du MUR.
Effectivement, dit Aous Remmal, Benkirane n'était pas très enthousiaste à l’idée de le voir aux commandes du mouvement. Benkirane aurait, en effet, préféré voir un certain El Houcine El Mous, aux humeurs plus pondérées, qu'un Aous Remmal plutôt connu pour la rudesse de caractère à la tête du MUR. Ce n’est peut-être pas uniquement cela qui inquiéterait Benkirane. Le nouveau président du MUR, il vient de l’affirmer, n’est, en effet, pas contre la révision du fameux «partenariat stratégique» qui lie le mouvement au parti.