Montée en compétence, interopérabilité, tech… Ce que les exercices conjoints des FAR disent de la stratégie militaire du Maroc

Lors de l'exercice militaire Chergui 2025. (Armée de terre)

Le Maroc multiplie les exercices militaires conjoints avec ses partenaires internationaux. Terrestres, aériens, navals et civils se succèdent sur un calendrier serré. Un tempo régulier qui dit beaucoup de la trajectoire suivie par le Royaume, celle d’un pays qui consolide sa place sur l’échiquier sécuritaire, non par des coups d’éclat, mais par la régularité, la méthode et le terrain. Décryptage.

Le 13/10/2025 à 10h15

Ce n’est pas une nouveauté, encore moins une improvisation. Depuis plus de trois décennies, le Maroc cultive une tradition militaire d’exercices conjoints avec ses partenaires stratégiques. Britanniques, Français, Américains, mais aussi d’autres alliés africains et européens se succèdent sur ses terrains d’entraînement. Marrakech, Errachidia, Guelmim, Ksar Sghir, Agadir, Benguérir… ces villes sont devenues des rendez-vous réguliers d’un calendrier militaire dense et structuré.

Ces exercices conjoints répondent à un double impératif: consolider les capacités internes des FAR et ancrer des partenariats stratégiques solides, signale un expert sécuritaire. Rabat a compris dès le début que la sécurité d’un pays moderne ne se construit pas dans l’isolement. Elle repose sur une préparation constante, sur des alliances crédibles et sur une capacité à évoluer au rythme des menaces et des technologies.

L’intérêt de ces exercices est multiple. D’abord, ils constituent un outil opérationnel de premier ordre. Sur le terrain, ils permettent d’affûter les réflexes tactiques des unités, de tester les chaînes de commandement, d’évaluer la rapidité de réaction et de roder les dispositifs logistiques dans des conditions proches du réel. Ce sont des laboratoires d’efficacité militaire, nous explique-t-on.

Ensuite, ces manœuvres renforcent la coordination interarmes. Elles associent infanterie, blindés, forces spéciales, unités aériennes et maritimes dans des scénarios complexes. Cette synergie est essentielle pour permettre aux FAR de manœuvrer avec fluidité et discipline dans des contextes opérationnels variés, qu’il s’agisse de défense territoriale, d’opérations conjointes ou de missions de maintien de la paix. Elle accroît la résilience des forces et affine leur capacité à s’adapter à des situations imprévisibles.

Sur le plan stratégique, ces exercices servent aussi d’outil diplomatique. Ils consolident des alliances déjà établies et ouvrent la voie à de nouveaux partenariats. En s’exerçant avec les grandes puissances militaires, le Maroc envoie un message clair: celui d’un partenaire stable, crédible, doté d’une armée professionnelle et bien entraînée. Une crédibilité militaire qui se traduit en influence politique et renforce la place du Royaume dans les équilibres régionaux.

Ces manœuvres ont également une dimension technologique. Elles sont une occasion d’intégrer de nouveaux équipements, de tester des systèmes de communication sécurisés, d’évaluer la compatibilité des matériels et de se familiariser avec des standards opérationnels internationaux. Cette montée en compétence technologique renforce la modernisation des FAR et leur permet d’être en phase avec les armées les plus performantes. De plus, ces exercices permettent au Maroc d’asseoir son rôle d’acteur pivot dans la stabilité régionale.

Pour prendre la mesure de cette stratégie, il suffit de regarder le terrain. Année après année, un même rythme s’installe, précis, régulier. Chaque exercice a son lieu, son partenaire et sa logique. Rien n’est laissé au hasard.

Chergui, un entraînement militaire maroco-français grandeur nature

À Errachidia, «Chergui» en dit long. L’exercice qui a récemment touché à sa fin, après trois semaines de manœuvres, et qui a réuni soldats marocains et français, a mobilisé un important dispositif des deux côtés.

Les unités se sont affrontées à un scénario réaliste et exigeant, pensé pour tester la coordination et la capacité de riposte dans des conditions opérationnelles complexes. Pour cette édition 2025, le détachement français était composé d’éléments du 5ème régiment d’hélicoptères de combat, d’un peloton du 1er régiment de chasseurs, d’une section du 1er régiment de tirailleurs et d’un module de commandement de la 4ème brigade d’aérocombat. Côté marocain, plusieurs unités des FAR ont pris part à cette opération conjointe dans une coordination étroite qui témoigne d’un haut degré de maîtrise.

L’exercice s’est articulé en deux grandes séquences complémentaires. La première a été consacrée à la planification et à la coordination interarmées. La seconde, elle, a été centrée sur des manœuvres combinées sol-air. Sur le terrain, chars M1A2 Abrams marocains, hélicoptères Gazelle, Tigre et NH90 français ont évolué dans des conditions proches du réel, marquées par un relief accidenté, des vents chargés de sable et des écarts thermiques importants. Un décor rude et exigeant qui n’est en aucun cas anecdotique, puisqu’il permet de tester l’endurance, la précision et la capacité d’adaptation des unités dans des scénarios réalistes.

Quand la coopération franco-marocaine prend de la hauteur

À Guelmim, le ciel marocain a abrité une démonstration aérienne à la hauteur de la relation stratégique entre Rabat et Paris. «Marathon» n’en est pas à son coup d’essai. Déjà en 2022, la base aérienne de Sidi Slimane avait accueilli des manœuvres conjointes entre les deux armées de l’air.

Trois ans plus tard, en 2025, l’exercice a pris une dimension plus large, mobilisant des moyens plus importants et des scénarios plus ambitieux.

Cinq Rafale B et un A330 MRTT Phénix pour l’armée de l’air et de l’espace française, huit F-16 et des hélicoptères Puma pour les Forces royales air… Pendant plusieurs jours, les équipages ont enchaîné campagnes de tir, opérations de ravitaillement en vol, interceptions et manœuvres tactiques coordonnées.

Al Aqrab et Chebec, liens franco-marocains renforcés

En décembre 2024 à Benguérir, l’exercice «Al Aqrab» a permis à des commandos parachutistes français et marocains d’affiner leurs techniques aéroportées dans des conditions complexes.

Quelques semaines plus tôt, la marine royale et la marine nationale française menaient la 30ème édition de l’exercice naval «Chebec», marqué par la participation inédite d’un sous-marin nucléaire d’attaque français. Lutte anti-sous-marine, opérations de plongée et coordination tactique ont ponctué les opérations.

African Lion, un pilier de la coopération maroco-américaine

Si «Chergui» symbolise la solidité du partenariat franco-marocain, «African Lion» est, lui, le visage le plus visible de la coopération militaire entre le Maroc et les États-Unis. Cet exercice multinational, conduit sous la houlette de l’Africom et des Forces armées royales, est devenu au fil des années le plus important exercice militaire conjoint du continent africain. Il mobilise chaque année plusieurs milliers de soldats marocains, américains, européens et africains, déployés sur plusieurs sites stratégiques à travers le pays.

Guelmim, Tan-Tan, Agadir, Benguérir, Kénitra… autant de noms désormais associés à ce rendez-vous majeur. L’exercice s’articule autour de scénarios complexes. Il permet de tester la capacité de réaction conjointe face à des menaces hybrides, de renforcer l’interopérabilité entre armées alliées et d’affiner les procédures tactiques dans des conditions proches d’un théâtre d’opération réel.

Pour les États-Unis, «African Lion» est un levier stratégique pour consolider des alliances solides dans la région et renforcer la coopération sécuritaire avec un partenaire fiable. Pour le Maroc, c’est une plateforme d’entraînement d’envergure, un laboratoire de modernisation opérationnelle et un signal clair envoyé à la communauté internationale, celui d’un pays capable de planifier, d’accueillir et de conduire des manœuvres de grande ampleur.

Mantlet et Inondex, la réponse civile-militaire

Mais l’action militaire au Maroc ne se limite pas aux combats simulés. Entre Kénitra et Casablanca, «Mantlet» réunit les FAR et la Garde nationale de l’Utah autour de scénarios de secours en milieu urbain et de réponse NRBC.

À Ouarzazate, «Inondex-25» a, par exemple, mis à l’épreuve les dispositifs de gestion de crises naturelles. Coordination des postes de commandement, déploiements rapides, logistique millimétrée. Des exercices qui traduisent une ambition plus large: faire des FAR un pilier dans la gestion des crises majeures.

Jebel Sahara, 25 ans de coopération

Moins médiatisé mais tout aussi structurant, «Jebel Sahara» illustre la profondeur du partenariat militaire entre le Maroc et le Royaume-Uni. Cet exercice, organisé près de Marrakech réunit chaque année des unités britanniques et marocaines dans des manœuvres conjointes à dominante terrestre.

L’entraînement est centré sur des opérations en milieu désertique et semi-aride. Il met l’accent sur la mobilité, la coordination des unités légères et blindées, ainsi que la gestion des engagements rapprochés dans des conditions de terrain exigeantes. L’objectif est de renforcer les capacités tactiques conjointes, d’améliorer l’interopérabilité et d’installer une coopération militaire régulière, loin des effets ponctuels.

«Initié en 1989, il constitue un rendez-vous annuel régulier d’échanges d’expériences opérationnelles et tactiques, de perfectionnement des capacités de coordination, de planification et de préparation au combat, dans des environnements d’entraînement reproduisant fidèlement les conditions réelles du terrain, avec ses défis climatiques et opérationnels», affirment les FAR.

Outre ces exercices organisés au Maroc, les FAR participent également à de nombreuses manœuvres à l’étranger, aux côtés de leurs partenaires stratégiques, à l’instar d’UNITAS, de Flintlock, de Phoenix Express, Sea Breeze... Ces déploiements hors des frontières traduisent une volonté on ne peut plus claire: inscrire l’armée marocaine dans une dynamique d’interopérabilité internationale, au contact direct des grandes puissances militaires et des alliances régionales structurantes.

Ils permettent aux unités engagées d’évoluer dans des environnements opérationnels variés, de se confronter à d’autres doctrines et de renforcer leur savoir-faire tactique et stratégique. C’est aussi une manière pour Rabat de consolider ses alliances, de s’immerger dans des dispositifs multinationaux et de faire entendre sa voix dans les cercles sécuritaires internationaux.

Ce calendrier n’a donc rien d’un alignement de manœuvres sans lendemain. C’est une mécanique installée, une marque de fabrique que le Maroc affine année après année, puisque rien n’est improvisé, tout est construit dans la durée. De «Chergui» à «Marathon», de «Chebec» à «African Lion», en passant par «Jebel Sahara», «Mantlet» ou encore «Inondex», ces exercices s’emboîtent dans une même logique. Celle d’une politique de défense structurée, patiemment bâtie, qui combine efficacité opérationnelle et diplomatie de terrain.

Par Hajar Kharroubi
Le 13/10/2025 à 10h15