Le packaging est en béton, la présentation solennelle. Pour son déplacement à Riyad, Saïd Chengriha a choisi les formes. D’un autre âge, mais passons. La visite, entamée le 3 février, est décrite comme «officielle», même si aucune autorité en Arabie saoudite n’a invité le chef d’état-major de l’armée algérienne et qu’une visite officielle a forcément une date de début… et une date de fin. On avance. Le cadre est tout trouvé: le Salon mondial de la défense, qui s’est tenu dans la capitale de l’Arabie saoudite du 4 au 8 février. Et comme pour apporter une touche sacrée au séjour, Saïd Chengriha est présenté comme le représentant du président de la République.
L’événement a pris fin le 8 février, soit jeudi dernier, et à l’heure où nous mettions en ligne, soit ce lundi 12 février, Saïd Chengriha se trouve toujours en Arabie saoudite. C’est à croire qu’il a raté son vol hebdomadaire et qu’il attend le prochain.
Cela fait donc 10 jours que le chef de l’armée algérienne est dans le pays des lieux saints de l’islam. Qu’y fait-il? À part un cliché immortalisant sa rencontre le 6 février avec le jeune ministre saoudien de la Défense, Khaled ben Salmane, 36 ans et de 42 ans son cadet, circulez, il n’y a rien à voir.
C’est que les objectifs du chef de l’armée algérienne sont ailleurs. Son vœu le plus cher, c’est qu’une réception lui soit accordée par le prince héritier et homme fort de l’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane. Et c’est la raison pour laquelle son séjour se prolonge à l’infini. Nombre d’observateurs, parmi eux les journalistes algériens en exil Abdou Semmar et Hichem Abboud, s’y accordent. Sauf que réception il n’y a toujours pas et que l’attente se fait aussi longue que franchement humiliante.
Si Saïd Chengriha tient à être reçu par MBS, c’est parce qu’il a la besace pleine de doléances. La première, selon les analyses des journalistes précités, est que le prince héritier saoudien intercède auprès des dirigeants émiratis pour que ceux-ci «cessent leurs hostilités» envers Alger et leur appui «inconditionnel» à Rabat, notamment sur la question du Sahara. Le régime algérien voudrait qu’Abou Dhabi soit responsable de toutes les crises actuelles de la junte avec son entourage, à commencer par le Mali et le Niger. La vérité est tout autre et c’est plutôt vers Moscou, qui se déploie dans la zone au détriment de son supposé allié, qu’il gagnerait à se tourner. Qu’à cela ne tienne, Alger veut que les Émirats et leur président, Mohammed ben Zayed, soient les instigateurs d’une vraie guerre contre les intérêts algériens dans la région. «Tebboune a chargé ainsi Chengriha de dialoguer directement avec MBS pour le convaincre d’intervenir auprès des dirigeants émiratis afin de les ramener à la raison et de leur demander de “cesser immédiatement leur hostilité” ouvertement affichée à l’encontre de l’Algérie en soutenant activement sur les plans militaire, financier, diplomatique et économique le rival marocain dans un vaste plan de déstabilisation des intérêts de l’Algérie au Sahel, en Mauritanie ou en Libye», explique Abdou Semmar dans une vidéo YouTube dédiée au sujet.
D’autres voix expliquent l’insistance de Saïd Chengriha à être reçu par son désir ardent de bénéficier des largesses saoudiennes en matière d’armement, l’armée algérienne étant dépendante de son trop-plein d’armement russe pour lequel elle n’arrive plus à provisionner les munitions, celles-ci étant mobilisées dans la guerre en Ukraine. La diversification des sources d’approvisionnement de l’Armée nationale populaire (ANP) passant par une nécessaire caution, en l’occurrence saoudienne.
Last but not least, le parti pris ferme, clair et indiscutable de Riyad vis-à-vis de l’intégrité territoriale du Maroc. Un appui tout récemment confirmé par une instruction de Mohammed ben Salmane interdisant formellement l’appellation «Sahara occidental» pour désigner le Sahara marocain et proscrivant l’usage d’une carte du Royaume du Maroc n’intégrant pas ses provinces du Sud. La mesure a été généralisée par le directeur du Cabinet royal saoudien, Fahd ben Mohamed Al-Essa, qui en a instruit tous les ministères et services publics de l’État saoudien. Ceux-ci sont tenus de transmettre la directive à tous leurs départements internes et externes.
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Pas plus loin qu’en octobre dernier, intervenant devant la 4ème commission de l’Assemblée générale de l’ONU, le représentant de l’Arabie saoudite, Hassan ben Mohammed Al Amri, soulignait que son pays «réaffirme l’appui à l’initiative d’autonomie au Sahara marocain dans le cadre de la souveraineté du Maroc et de son intégrité territoriale, en tant que solution conforme au droit international et aux résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale de l’ONU». Une attitude que l’Algérie des généraux perçoit comme un rouleau compresseur ou le début d’une avalanche qu’elle souhaiterait voir ralentir.
C’est mal connaître l’Arabie saoudite et son homme fort. C’est aussi insulter l’intelligence de Riyad, qui avait proposé sa médiation au plus fort de la rupture par Alger, le 24 août 2022, de ses relations diplomatiques avec le Maroc, la fermeture de ses frontières aériennes et l’interruption du gazoduc Maghreb-Europe. En vain. Revenir par la fenêtre quand on a soi-même fermé la porte est pour le moins puérile. «Pour eux (les Saoudiens, NDLR), il n’est plus question de dialoguer avec le pouvoir algérien sur les sujets de grand intérêt depuis que les Algériens ont manifesté leur refus de la médiation saoudienne dans le différend qui les oppose à leurs voisins marocains. Depuis l’annonce de la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc par le ministre algérien des Affaires étrangères, le 24 août 2022, le Roi d’Arabie Saoudite a été le premier souverain arabe à proposer sa médiation. Il a essuyé un niet catégorique de la part des Algériens», écrit Hichem Aboud dans les colonnes du site d’information espagnol Atalayar.
Ce qui est sûr, c’est que MBS, qui a, à trois reprises, accusé une fin de non-recevoir à des invitations officielles du président algérien à se rendre dans son pays, ne semble nullement pressé de recevoir son distingué envoyé. Faire le pied de grue devant le palais princier saoudien n’y changera rien, si ce n’est à couvrir de ridicule une posture déshonorante. Pour un militaire qui plus est.