«’’D’une manière ou d’une autre, ils t’auront’’ - Manuel des techniques de répressions au Maroc». C’est le titre, digne d’un thriller, d’un rapport publié le 28 juillet 2022 par l’organisme Human Rights Watch (HRW). Un rapport de 143 pages dédié à la manière dont les autorités marocaines, alias le Makhzen, font taire les voix dissidentes au régime, en l’occurrence les journalistes indépendants.
Dans ce rapport, HRW revient notamment sur les affaires très médiatisées de Omar Radi, Taoufik Bouachrine, Mohamed Ziane, Souleimane Raissouni ou encore Hajar Raissouni, entre autres victimes du «système». Des affaires qui ont, au demeurant, fait l’objet d’enquêtes, de procès et ont abouti à des jugements.
Jusque-là rien de bien nouveau sous le soleil, si ce n’est l’étiquette d’«opposant au régime» qu’appose HRW sur chacune de ces personnes condamnées par les institutions judiciaires de leur pays, et qui donne ainsi toute latitude à l’ONG pour dénoncer à tout-va ces procès, présentés comme des mascarades où tous les coups bas sont permis pour faire taire les voix dissidentes de journalistes dont le statut de journaliste ou de défenseur de droits humains semble suffire à absoudre de tous les crimes dont on les accuse.
Espionnage, violences physiques, harcèlement, chantage, menaces, corruption de la justice, manipulation des témoins et jusqu’à l’invention de fausses victimes…, les «techniques de répressions» pour faire taire les plumes indépendantes abondent dans ce «manuel» qui se basent sur certains témoignages choisis, beaucoup de suppositions et un paquet (family size) de raccourcis. Mais passons.
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Ce qui nous intéresse ici, c’est le traitement accordé par cet organisme censé représenter les droits humains dans leur ensemble, et donc également ceux des victimes portant des accusations de violences sexuelles contre certains de ces «opposants». Bizarrement, celles-ci n’ont pas voix au chapitre. Au contraire, elles sont présentées à coups de tournures de phrases sournoises et de raccourcis douteux, comme des intrigantes à la solde du Makhzen quand elles ne sont tout simplement pas nommées du tout. Comme si elles n’existaient pas…
Trop crédible pour qu’on en parle Ainsi, dans l’affaire du tonitruant avocat Mohamed Ziane, que le rapport de HRW taxe d’«anomalie» au vu de son long passé au service de l’Etat, HRW fait tout simplement abstraction de la plainte portée par Najlae Al Faisali à l’encontre de celui qui représentait ses intérêts.
La jeune femme qui accuse Ziane de harcèlement, d’extorsion et de chantage sexuel, faits dont il se serait rendu coupable en 2019, n’est tout simplement pas citée. Rien, pas une ligne, pas un mot sur celle qui a pourtant obtenu gain de cause devant la justice marocaine le 23 février 2022, laquelle a condamné l’ancien bâtonnier à lui verser la somme de 100.00 dirhams. Sans compter la peine de trois ans de prison ferme requise contre lui pour pas moins de onze chefs d’accusation.
Comment expliquer que HRW ne tienne pas compte des accusations graves, documentées et preuves à l’appui, portées par cette femme? Ledit rapport aurait-il été écrit avant que l’affaire qui oppose Al Faisali à Ziane ne soit rendue publique? La réponse est non, car le rapport de HRW, publié le 28 juillet, apporte des informations sur des faits bien plus récents. Passer sous silence une partie des accusations portées contre Mohamed Ziani, de surcroît les plus récentes, est donc un choix délibéré. HRW douterait-il de l’innocence de Maître Ziane dans l’affaire qui l’oppose à celle qu’il qualifie de chettaha pour mieux la discréditer? Décidément, les voies de HRW sont impénétrables…
Trop gay pour être vraiCette façon de faire, qui consiste à passer sous silence certains éléments des affaires présentées dans ce rapport pour mieux asseoir la tournure d’un récit, est pratiquée dans deux autres affaires, celles de Souleimane Raissouni et de Omar Radi.
Dans ces deux cas de figures, les victimes sont nommées, en l’occurrence Adam Muhammad et Hafsa Boutahar, mais elles ont toutefois droit à un traitement pour le moins partial, à l’emporte-pièce, dans la rédaction de ce rapport.
Les propos d’Adam Muhammad sont issus de la «transcription de son interrogatoire, que Human Rights Watch a examinée», ainsi que du «jugement écrit, examiné (lui aussi) par Human Rights Watch», mais à aucun moment HRW ne lui accorde la parole, comme il l’a pourtant fait avec les personnes accusées, mais considérées comme des victimes du Makhzen par l’organisme droit-de-l’hommiste.
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Pire encore, HRW se sert de l’orientation sexuelle d’Adam Muhammad et de la criminalisation de l’homosexualité au Maroc pour jeter le discrédit sur ses accusations. Ainsi, est-il avancé, «au fil des ans, le Maroc a poursuivi et emprisonné des hommes en vertu de l’article 489, même lorsqu’il n’y avait aucune preuve qu’ils s’étaient livrés à des actes sexuels entre personnes de même sexe». Or, poursuit l’analyse, «le fait qu’Adam ait échappé aux poursuites alors qu’il avait ouvertement déclaré aux autorités qu’il était homosexuel (…) soulève cependant un doute important: celui que les autorités appliquent la loi de manière sélective, ayant choisi de ne pas poursuivre Adam seulement parce que cela servait leurs fins, et non parce qu’elles souhaitent respecter les droits garantis internationalement aux personnes LGBT». Mais, cerise sur ce gâteau pétri de contradictions, HRW considère toutefois le fait qu’Adam n’aie pas été poursuivi pour son homosexualité comme «une évolution bienvenue que Human Rights Watch salue»… Allez comprendre.
Trop dérangeante pour être soutenueHafsa Boutahar, qui a porté des accusations de viol contre Omar Radi a, elle, fait l’objet d’un traitement «deux poids, deux mesures». Dans son rapport, HRW prend ses précautions et se pare contre toute attaque en décrétant que «toutes les allégations d’agression sexuelle nécessitent une enquête sérieuse et que les responsables soient traduits en justice, avec un procès équitable tant pour le plaignant que pour l’accusé», mais entreprend ensuite de discréditer ladite victime, reconnue par la justice marocaine en tant que telle.
Accusé plusieurs fois par Hafsa Boutahar de ne pas lui avoir donné la parole et ne pas avoir tenu compte de sa version des faits, HRW se défend de tout traitement subjectif de l’affaire en relatant ses relations avec Hafsa Boutahar. L’organisme explique ainsi avoir été contacté par la jeune femme en octobre 2020,«alors que l’enquête judiciaire était toujours en cours», ce à quoi HRW lui aurait proposé de «parler avec des membres féminins de l’organisation, spécialement formées pour interroger les plaignantes de violence sexuelle de manière éthique». Mais, est-il indiqué dans le rapport, «Boutahar a répondu par SMS en disant qu’elle ne souhaitait plus parler à Human Rights Watch par respect pour la justice et pour le secret de l’enquête judiciaire». Et de conclure «l’organisation a respecté sa décision», installant ainsi un doute sur le fait que la jeune femme ne veuille pas être interrogée par «des experts» en matière de violence sexuelle.
Contactée par Le360 pour réagir à cette affirmation de HRW et à ce rapport dans lequel son nom est cité, Hafsa Boutahar partage son indignation. «Oui, j’ai contacté HRW au début de cette affaire, car je m’étonnais que cet organisme censé représenter les droits humains ne me donne pas la parole, prenant la défense de Omar Radi, sans même tenir compte de mon témoignage». Et celle-ci d’expliquer que HRW a tardé à faire suite à sa demande. «Ils ne m’ont contactée que quand l’enquête judiciaire a commencé. Je suppose qu’ils savaient très bien que je ne pourrais pas parler de l’affaire à ce moment-là» conclut-elle.
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Dans ce même rapport, HRW fait une ellipse dans le temps de près de deux ans, laissant supposer que pendant cette période, aucun contact n’a eu lieu entre l’organisme et Hafsa Boutahar, omettant de préciser que la jeune femme a demandé à plusieurs reprises à rencontrer Ahmed Reda Benchemsi, directeur de la communication pour la division Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), en septembre 2021. En vain. Elle se verra répondre que celui-ci n’a pas le temps de la recevoir.
Ainsi, poursuit HRW en omettant ces rendez-vous manqués, «en juin 2022, après la conclusion des procès en première instance et en appel, Boutahar a demandé de nouveau à rencontrer HRW», chose faite le 10 juin, à Rabat, en présence «des membres des divisions Moyen-Orient Afrique du Nord et Droits des Femmes», ainsi que «son avocate» et «une chercheuse de Human Rights Watch en ligne».
Là aussi, HRW omet de préciser qu’un premier rendez-vous avait été fixé le même mois entre Hafsa Boutahar et Eric Goldstein, directeur adjoint de la division MENA de l’ONG, comme celle-ci l’explique pour Le360. «Je suis partie au rendez-vous que nous avions fixé, j’étais un peu en avance et j’ai attendu plus d’une heure avant que Goldstein ne m’envoie un message pour dire qu’il ne viendrait pas et m’expliquer que pour que le rendez-vous se fasse, il faudrait que j’accepte toutes ses conditions». Et en termes de conditions, celui-ci aurait imposé à la jeune femme la présence de l’équipe précitée ainsi que l’enregistrement de la séance par HRW. «J’ai répondu que j’étais d’accord, que je viendrais accompagnée dans ce cas de mon avocate, d’une interprète et que j’enregistrerais aussi la séance». Mais cette dernière demande de Hafsa Boutahar est refusée. «Si vous enregistrez la séance, nous mettrons fin à l’entretien», lui aurait rétorqué son interlocuteur.
Qu’à cela ne tienne, Boutahar accepte toutes les conditions de HRW. «Lors de la réunion, Boutahar a critiqué certains médias et organisations de défense des droits humains, dont HRW, pour ne pas avoir entendu les deux parties de l’affaire. Elle a déclaré que loin de la traiter comme une victime, ils la traitaient comme si elle était un outil que le gouvernement utilisait à des fins politiques», explique le rapport.
Des propos que Hafsa Boutahar confirme. «Effectivement, je voulais avoir des réponses à mes questions et cela impliquait de savoir qui j’avais en face de moi. Qui était derrière cet organisme qui ne me donnait pas voix au chapitre tout en affirmant défendre les droits humains? Pourquoi ce traitement différent?», précise Hafsa Boutahar qui explique ne pas avoir obtenu de réponse concluante à ses questions, mais avoir eu droit plutôt à une fuite en avant de l’organisme. «Quand je leur ai demandé pourquoi ils n’étaient pas entrés en contact avec moi, ni même avec Adam Muhammad dans l’affaire Souleimane Raissouni, ils m’ont répondu que c’était aux présumées victimes de les contacter et pas l’inverse», poursuit-elle.
Ce traitement accordé à la parole des victimes, HRW s’en explique dans son rapport en affirmant «ne pas avoir cherché à parvenir à une conclusion sur les faits dans l’affaire de viol», car «il s’agit plutôt de veiller à ce que toutes les allégations d’agression sexuelle fassent l’objet d’une enquête appropriée et que les responsables soient traduits en justice, dans le cadre d’une procédure pénale qui respecte les droits du plaignant et de l’accusé». Or, tranche HRW, équitable, le procès ne l’était pas. Un jugement qui condamne de facto la victime de viol.
«C’est un organisme qui choisit les victimes en fonction de son agenda politique», affirme Hafsa Boutahar. Et pour cause, «ce qui leur importait le plus pendant ce rendez-vous, c’était de savoir si j’avais subi des pressions de la part des autorités et si j’étais bien traitée par les autorités», poursuit-elle, s’étonnant que toute la discussion autour de son affaire, les réponses et éléments de preuves apportés en retour à leurs questions pendant deux heures d’entretien n’aient pas même été mentionnés dans le rapport.
Puis, de la même manière que HRW salue le fait qu’un homosexuel ait été entendu par la justice sans être inquiété tout en contestant de ce fait la véracité de ses propos, l’organisme effectue la même pirouette s’agissant de Hafsa Boutahar et des droits des femmes. Réagissant au jugement, HRW estime que «le raisonnement du tribunal sur la manière dont une femme “saine d’esprit” devrait planifier une relation sexuelle sape l’autonomie des femmes tout en reposant sur des stéréotypes sexistes».
Traiter en intrigante une femme qui accuse un homme de viol, sans même lui donner la parole, tout en s’insurgeant d’un jugement qui écorche l’autonomie des femmes et pue le sexisme… On aura tout vu, mais pas tout compris.