Quand Alger lâche ses chiens médiatiques, on n’est plus dans la bassesse, mais plutôt dans les abysses de l’ignominie. Le youtubeur algérien Saïd Bensedira –qui admet lui-même être financé par la présidence algérienne, pourtant en vacance– s’est violemment attaqué à l’ancien président tunisien, Moncef Marzouki. Le verbiage du vlog est nauséabond: «il est chauve et débile», lance-t-il au sujet de Moncef Marzouki, qui a eu droit à toutes formes d’insultes, sur lui-même, son épouse «française sioniste» et même sur son défunt père. Mais pourquoi donc tant de haine?
Quelques jours après l’intervention des Forces armées royales à El Guerguerat, le quotidien londonien Al Quds Al Arabi a décroché une interview du premier président de la Tunisie post-printemps arabe (et Révolution du Jasmin). En toute franchise et avec des propos plein de sagesse, Moncef Marzouki a exprimé sa perception du conflit du Sahara et surtout les obstacles à sa résolution.
«Nous ne pouvons plus sacrifier l’avenir de 100 millions de Maghrébins pour 200.000 Sahraouis qui peuvent vivre dignement dans une union maghrébine et dans une autonomie au sein de l’Etat Marocain», avait expliqué Marzouki. L’ancien président a même développé sa vision, lors d’une rencontre organisée par une ONG algérienne au sujet des libertés et de la démocratie. «Vous pourrez vous installer en Tunisie, travailler en Libye, étudier en Algérie et participer aux élections législatives au Maroc», avait-il alors lancé à l’adresse des Sahraouis de Tindouf.
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Connaisseur des arcanes maghrébines, l’ancien dirigeant n’a pas manqué de relever clairement la responsabilité de l’Algérie dans ce conflit. «Le régime algérien sur le déclin vend des illusions aux Sahraouis qu’il détient comme otages au service d’un choix politique biaisé. (…) Chaque fois que nous avons pu avancer et trouver une solution logique au problème sahraoui dans le cadre de l’autonomie au sein du Maroc et de l’Union d’un grand Maghreb, il s’est toujours trouvé des puissances pour perpétrer des frappes terroristes et pour tout faire échouer», témoigne celui qui a pu voir de l'intérieur Alger bloquer la construction du Maghreb, et se servir de «la cause sahraouie» comme d'un fond de commerce.
Et d’ajouter: «malheureusement, nous avons été les otages d’un groupe du régime contre lequel s’est soulevé le peuple algérien. (…) J’ai l’espoir que le changement que connaîtra l’Algérie avec de nouveaux dirigeants, le Hirak et la démocratie va nous donner une nouvelle génération de leaders qui auront le courage de comprendre que cette politique qui nous a fait perdre quarante ans doit être abandonnée et qu’on doit initier une autre phase positive pour rapprocher les peuples».
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En disant tout haut ce que les dirigeants maghrébins (Algériens compris) murmurent tout bas, Moncef Marzouki a levé le voile sur les manœuvres du régime algérien, ce qui explique sans doute cette réaction hystérique de ses porte-voix.
Abdelaziz Medjahd, le général-major à la retraite au passé sanguinaire lors de la décennie noire (il était le supérieur hiérarchique de l’actuel chef de l’état-major algérien), a poussé le manque de respect encore plus loin: «les sandales des Sahraouis sont plus honorables que le visage de Marzouki».
Quant aux Comité national algérien de solidarité avec le peuple sahraoui (CNASPS), il a dû ressortir du placard une de ses vieilles figures pour se fendre d’une lettre ouverte à l’ancien dirigeant tunisien, l’accusant de mener une «campagne haineuse» contre l’Algérie. Il s’agit de l’ex-président de cette structure, Mahrez Lamari, un sinistre hurluberlu pris en flagrant délit de financement de troubles sur le sol marocain, il y a des années déjà. A en croire qu’au sein même de l’Algérie, on a de plus en plus de mal à trouver des voix qui portent…
Les propos de Mahrez Lamari ont d'ailleurs fait l’objet, pas plus tard qu'hier, samedi 5 décembre 2020, d’une longue dépêche de l’APS. Cette campagne enragée a au moins le mérite de nous montrer que Moncef Marzouki a mis le doigt là où cela fait mal. Il estime à juste titre qu’il n’y a rien à attendre de dirigeants gérontocrates cramponnés au pouvoir. Il faut attendre qu’ils meurent de leur belle mort pour espérer enfin tourner la page du vieux conflit du Sahara.