Les mécomptes des partis

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

Les partis politiques ont-ils bonne presse? Avec le rapport de la Cour des comptes publié le 27 mai sur l’audit de leurs comptes, force est de faire ce constat amer: c’est une moins value supplémentaire qui déboule. Un débat de fond.

Le 29/05/2025 à 17h40

La mission de la Cour des comptes est bien simple: elle contrôle les finances publiques du Royaume, conformément à l’article 147 de la Constitution. Son rôle est essentiel pour garantir la bonne gouvernance, la transparence et la reddition des comptes, notamment en veillant à la bonne exécution des lois de Finances.

Dans ce contexte, les partis politiques reçoivent une subvention publique annuelle. En 2022, ce soutien a été complété par une aide supplémentaire de 20 Millions de DH, suite à une décision Royale annoncée par le Souverain lors de son discours d’ouverture de la session parlementaire le 8 octobre 2021. Ainsi, le montant total des subventions annuelles était de 188 MDH en 2022, puis a été ajusté à 140 MDH en 2023.

Sur ces bases-là, le rapport de la Cour a présenté les résultats généraux de l’audit ainsi que ceux de chaque parti. Qu’en tirer? Un état passablement préoccupant de la gestion financière et comptable des formations politiques.

Ainsi, sur un total de 33 partis, seuls 27 d’entre eux ont produit leurs comptes, les 6 autres étant défaillants (Mouvement Démocratique et Social, Réforme et Développement, Renaissance et Vertu, Al Ahd Addimocrati, Forces Citoyennes, Union Socialiste des Forces Populaires).

Que faire à leur endroit?

Sur les 27 qui ont présenté leurs comptes, seuls 19 d’entre eux ont été certifiés sans réserve. Mais 4 autres n’ont pas fourni un rapport de certification.

Par ailleurs, le plan comptable normalisé des partis n’a pas été respecté: 7 partis n’ont pas produit l’ensemble des tableaux requis, 3 autres n’ont pas présenté tous les relevés bancaires et, 3 autres encore, n’ont pas soumis l’inventaire détaillé des dépenses de l’année 2023…

Ces insuffisances ne se limitent pas à ce chapitre; elles sont également présentes dans d’autres sections, comme celle consacrée à l’examen de la validité des ressources.

Sur le total de celles-ci, de l’ordre de 104 MDH, un montant de 1,72 MDH (dont la moitié en numéraire) n’est pas justifié au titre de l’année 2023.

Pour ce qui est des dépenses, là encore, quelque 5,73 millions MDH n’ont pas été jugés comme recevables, ce qui en fait un taux bien inférieur à celui de 2022. Autant d’insuffisances concernant 17 formations sur 27.

«Le bilan fourni par la Cour des comptes au sujet de la restitution des fonds publics non utilisés ou non justifiés révèle des problèmes majeurs et des indicateurs de performance très préoccupants.»

—  Mustapha Sehimi

Autre chapitre tout aussi significatif de la situation: celui de la restitution de l’argent public. De quoi s’agit-il?

D’un soutien du Trésor public indu parce que non utilisé ou encore, à des fins autres que celles prévues mais sans pièces justificatives.

À la fin du mois de mars 2025, pas moins de 24 partis ont ainsi restitué, de la fin de 2022 à cette dernière date, un montant global de 36 MDH.

Le montant en question se décline en trois postes: une contribution de l’État de 29 MDH pour les campagnes électorales précédentes, une allocation de plus de 2 MDH pour les frais de gestion des partis, et enfin une somme de près de 5 MDH dédiée au financement de missions d’études et de recherches, en application de la décision Royale d’octobre 2021.

La somme de 36 MDH à restituer se détaille de la manière suivante: 3 partis doivent 2,41 MDH pour le financement de leurs campagnes électorales de 2015 et 2016; 7 partis sont redevables de 18,13 MDH suite au scrutin de 2021, et 7 autres partis doivent 1,42 MDH pour leurs frais de gestion sur les années 2017 et 2020-2023.

Le bilan fourni par la Cour des comptes, concernant la restitution des fonds publics non utilisés ou non justifiés jusqu’à fin mars 2025, révèle des problèmes majeurs et des indicateurs de performance très préoccupants.

Se classe en tête, le PI avec 4,5 MDH, suivi du MP (5,4 MDH), puis, par le MDS (1,6 MDH), le Parti Démocrate National (9,4 MDH), le Parti de la Réforme et du Développement (7,1 MDH), etc.

Voilà bien de quoi interpeller sur les dimensions et l’articulation du système partisan actuel. En somme, nous avons là une bonne dizaine de Hizbicules, pour reprendre la formule d’Ali Yata, qui n’ont pratiquement pas de réelle base électorale, qui encombrent le champ politique national et parasitent finalement le pluralisme démocratique.

Le département de l’Intérieur va-t-il se résoudre à prendre les mesures appropriées pour assainir cette situation?

En tout cas, dans ses recommandations, la Cour des comptes l’y invite instamment pour récupérer l’argent public, soit un montant global de près de 22 MDH.

Allant au-delà des constats, la Cour des comptes formule des recommandations visant à améliorer la gestion des partis. Elle préconise notamment: des formations ciblées pour les cadres gestionnaires, l’élaboration d’un guide de procédures comptables, et l’établissement d’un système d’information comptable partagé par les partis.

En direction des partis, la Cour des comptes formule d’autres recommandations clés: La production de comptes annuels dans les délais légaux, la restitution des montants non justifiés, l’établissement de pièces comptables de dépenses au nom du parti et enfin, le renforcement des capacités de gestion administrative, financière et comptable.

Les partis politiques, qui visent à piloter les politiques publiques tant au niveau de l’État central que des collectivités territoriales, doivent impérativement faire preuve de bonne gouvernance au sein de leurs propres structures et d’exemplarité.

Par Mustapha Sehimi
Le 29/05/2025 à 17h40