Pour les observateurs, les erreurs d’appréciation sont devenues répétitives, donc structurelles. Elles sont issues d’une vision qui appréhende avec difficulté les équilibres et les enjeux planétaires, sachant qu’Emmanuel Macron n’avait aucune expérience diplomatique avant son accès à la présidence.
Des formules acerbes font désormais régulièrement la une des médias français, toutes sensibilités et tendances politiques confondues. En un florilège surprenant, voici quelques exemples:
«Macron, la diplomatie de l’échec» ; «Emmanuel Macron, les failles de la diplomatie disruptive» ; «Les paris diplomatiques perdus du président Macron» ; «Macron et la diplomatie, décidément c’est compliqué!» ; «Emmanuel Macron, l’aventurier diplomate?» ; «Emmanuel Macron semble ignorer que la diplomatie demande retenue, patience et pondération» ; «La souveraineté européenne, victime collatérale du faux pas diplomatique d’Emmanuel Macron?» ; «Emmanuel Macron, un Européen bien peu diplomate: sa « troisième voie » critiquée par ses partenaires»…
À la lumière de ces constats, on reviendra, ici, sur deux prises de position du président français qui ont provoqué du tumulte: l’une a impacté négativement les relations de la France avec le Maroc et l’autre a compliqué les relations de Paris avec ses alliés occidentaux.
Méconnaissance et tension permanente avec le Maroc
Une question nodale et existentielle pour le Maroc a été mal appréhendée par Emmanuel Macron. Dans son discours du 20 août 2022, Sa Majesté le Roi a souligné que le «dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international (…), l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit».
L’ambigüité n’est plus acceptée des partenaires traditionnels ni des partenaires nouveaux, appelés à clarifier et à «revoir le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque», a précisé le Souverain.
Suite à cette demande sincère, juste, légitime et fondée historiquement, Emmanuel Macron -sept mois après- a répondu d’une manière abrupte tant sur le fond que sur la forme, lors de sa visite au Gabon, en mars 2023.
Refusant de faire évoluer la position de la France, Emmanuel Macron a déclaré presque sur le ton, ici inconvenant, de l’indignation : «On semble encore aussi attendre d’elle (la France) des positionnements qu’elle refuse à prendre et je l’assume totalement». Il fait référence à la demande de clarification émise par le Maroc et à laquelle il a opposé un niet!
Il a manifesté ainsi une profonde méconnaissance des subtilités qui ont toujours marqué la relation entre le Maroc et la France. «Je l’assume totalement» est une formule malvenue qui ne laisse aucune place à la nuance. Surtout avec ce «totalement», adverbe de quantité qui, ici, a valeur de provocation et d’injonction! Autrement dit, le sujet est clos et il n’y a rien à discuter.
Il a gommé les données intangibles et imprescriptibles de l’histoire, nié la complexité du dossier et dédouané avec désinvolture la France coloniale de sa responsabilité dans la genèse de ce problème. Y compris ces amputations portées contre l’unité territoriale du Maroc et dont le principal bénéficiaire, depuis 1962, est la dictature militaire algérienne.
La clarification est nécessaire car le Maroc ne veut plus trainer ce dossier et veut se libérer entièrement pour son développement. Il est certain que l’hostilité du régime algérien (qui bénéficie du soutien objectif d’Emmanuel Macron) n’a pas empêché le Maroc de lancer avec réussite plusieurs chantiers pour son développement socio-économique. Mais il est temps de clore ce dossier dans l’intérêt des peuples des cinq pays du Maghreb.
Les relations marocco-françaises, qui frôlaient l’excellence, ont ainsi été malmenées, également à travers des opérations téléguidées de désinformation, de fausses accusations et de diffamation. Mais le Maroc, fidèle à ses convictions et à ses engagements internationaux, a toujours veillé à ce que les relations économiques soient épargnées de ces dérives.
Porteur d’une parole de vérité et de sagesse, Eric Ciotti, leader des Républicains (LR) -un des partis majeurs de la vie politique française- lors de sa récente visite au Maroc du 3 au 5 mai, a été clair et affirmatif sur la souveraineté du Royaume du Maroc sur son Sahara.
Le tropisme algérien, «vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà!»
On garde toujours à l’esprit une incroyable décision de politique extérieure d’Emanuel Macron qui a sidéré les observateurs, aussi bien au Maroc qu’en France. Par opposition à cette rigidité, teintée de vanité, qu’il adopte face au Maroc, Macron a accepté de se plier à une ahurissante demande des généraux algériens, avant sa visite à Alger en aout 2022. Ils lui ont demandé d’écarter de la délégation officielle française le grand rabbin de France Haim Korsia.
La posture du «refus assumé» quand il s’agit du Maroc n’a pas été mobilisée face à une junte connue pour son antisémitisme notoire. Pour camoufler ce qui est bien une compromission choquante pour de nombreux observateurs, le grand rabbin Haim Korsia a été «déclaré testé positif au Covid» le 25 août 2022 et exclu du voyage à la dernière minute.
Auparavant, pour préparer le terrain à cette expression de haine, le régime algérien a déclenché une campagne d’insultes, comme à son habitude, sur les réseaux sociaux et actionné le parti islamiste MSP qui a accusé le grand rabbin d’avoir fait des déclarations pour rapprocher l’Algérie d’Israël. Pour la junte, qui ne craint jamais le ridicule, c’est une atteinte à la position du régime algérien qui refuse la normalisation avec Israël.
D’ailleurs, la relation de Macron avec l’Algérie est farfelue. Des jugements sévères sur la nature du régime algérien ont été suivis d’embrassades surréalistes avec Tebboune, le paravent civil et insignifiant des militaires. Macron est le seul à considérer l’Algérie, victime d’une féroce dictature militaire, comme un pays normal. Un aveuglement inouï!
Crise avec les alliés occidentaux
Macron a aussi provoqué un tollé avec ses déclarations suite à sa visite, en avril 2023, en Chine. Il s’est désolidarisé de son allié américain et de ses alliés européens sur la question de Taïwan, dont la souveraineté est soutenue par l’Occident. Il a pris ses distances avec la politique de fermeté face à la Chine, en appelant à ne pas être «suiviste» des États-Unis.
Cette posture de Macron a soulevé de nombreuses interrogations. Autrement dit, Macron a insinué que si la Chine utilise la force pour récupérer Taïwan, et en cas de réaction américaine, les alliés ne doivent pas être «suivistes» et devraient rester distants de la crise.
Les alliés ont estimé que Macron a fait preuve de naïveté et d’erreur d’appréciation sur les équilibres du monde et n’a pas réalisé les conséquences géostratégiques de ses propos.
Sur un autre plan, des observateurs ont estimé que Macron a également laissé entendre qu’il exprimait son appui à l’unité territoriale de la Chine. Mais vu de notre pays, qui est aussi attaché à la politique «d’une seule Chine», on ne comprend pas le «deux poids, deux mesures» de Macron qui entretient le flou lorsqu’il s’agit de notre unité territoriale. Macron n’hésitant pas, non plus, à se placer à contre-courant des décisions sages des grands pays occidentaux qui soutiennent la souveraineté du Maroc sur son Sahara.
Macron et «l’État profond» du Quai d’Orsay
Le hiatus, sous le mandat de Macron, entre l’Elysée et le Quai d’Orsay est sorti des débats feutrés pour devenir public. En 2019, lors d’un discours à l’Elysée à l’occasion de la traditionnelle «Conférence des ambassadeurs», il a évoqué l’existence d’un «État profond» au Quai d’Orsay.
Il a dénoncé le fait que la parole présidentielle ne soit pas toujours suivie par l’administration diplomatique. Des propos qui ont heurté les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires Etrangères. Contrairement aux conseillers diplomatiques de l’Elysée, qui privilégient l’«instant com», les diplomates du Quai d’Orsay sont connus pour intégrer dans leur études et analyses la «profondeur historique» des dossiers.
Peu porté sur l’histoire des peuples et des nations, Macron privilégie une «vision managériale» du monde -et aussi de la France- assimilés à une «entreprise» où tout est abordé à travers le prisme des chiffres et de la communication.
Emmanuel Macron a déclaré en 2017 que «La France doit redevenir une grande puissance tout court». Mais depuis, en Ukraine, en Afrique, au Maghreb et avec ses alliés occidentaux, il a multiplié les impairs qui ont rendu illisible son action diplomatique.
Tout ce qui est venu par la suite n’a fait que confirmer la crise de la politique étrangère de la France. L’idée que la diplomatie macronienne «semble orchestrée par des agences de communication et rythmée par des «coups» le plus souvent infructueux» circule beaucoup dans les médias internationaux.