Il peut sembler saugrenu de commencer cette chronique qui vise à traiter de l’investissement dans notre pays par l’appel au secteur privé à un surcroit de travail en quantité et en qualité. Ce choix nous a été dicté par le désir de persuader beaucoup de nos entrepreneurs, fortement convaincus que la source de l’enrichissement est d’abord la rente sous ses formes multiples, que le travail est la principale source de richesse (cf. Adam Smith et David Ricardo), et que l’avenir appartient à celles et à ceux qui ont la capacité de se frayer un chemin et à s’imposer dans un environnement économique concurrentiel. C’est un truisme de rappeler que le darwinisme régit aussi le monde économique.
Comment convaincre nos entrepreneurs de s’inscrire de manière plus franche dans la dynamique de la croissance, en investissant davantage et en prenant plus de risques? Interrogation grave et récurrente qui demeure sans réponse jusqu’à présent.
Tout d’abord, pourquoi cette participation est-elle importante? L’Etat ayant un besoin permanent de financement pour exercer ses fonctions régaliennes, réaliser les investissements publics et répondre aux attentes de plus en plus importantes et pressantes qui se manifestent au sein de la société: protection sociale, système de santé performant, enseignement de qualité et services divers. Seule une économie riche et diversifiée appartenant dans son écrasante majorité au secteur privé est à même d’assurer au budget de l’Etat les recettes fiscales nécessaires à l’accomplissement de ces missions. Pour rappel, en Allemagne, les recettes fiscales couvrent 100% du budget général de l’Etat, alors qu’au Maroc ce taux n’atteint pas les 50%.
Côté incitations, on ne peut pas dire que les gouvernements qui se sont succédés durant le règne du Roi Mohammed VI n’ont pas fourni d’efforts pour pousser le secteur privé à investir plus, encouragés par le Souverain, que le sujet préoccupe au plus haut point et continuellement. Déjà en 2002, dans un message adressé au gouvernement Youssoufi, le Roi Mohammed VI avait demandé de multiplier les aides apportées au secteur privé pour qu’il puisse se développer et permettre ainsi au pays d’assurer un fort taux de croissance et de disposer des ressources pour entamer une grande politique sociale.
Les multiples mesures incitatives adoptées et l’amélioration de l’environnement de l’investissement n’ont pas, à ce jour, suffi à enclencher une nouvelle dynamique dans le secteur privé. L’investissement privé demeure loin derrière l’investissement public, avec 33% pour le premier et 66% pour le second. Alors que dans un pays comme la Turquie, il a atteint 80% pour le premier et 20% pour le second. Sachant que l’investissement productif, hautement rentable, est l’œuvre du privé et que le public réalise essentiellement des infrastructures, une part plus importante du premier impacte positivement la croissance.
Y a-t-il une ou des explications à cette frilosité de l’entrepreneuriat privé? L’entrepreneur marocain, sauf exceptions, est bon calculateur. Porté préférablement vers les activités spéculatives et la rente. Marqué au fer rouge par une ouverture brutale des frontières qui a anéanti des milliers de PME industrielles, couplée à des conflits sociaux hautement politisés, il préfère jouer le court terme et s’éloigner des activités gourmandes en main-d’œuvre. Les investissements importants que le secteur public réalise, sources de commandes, la politique fiscale, les incitations diverses et le fonctionnement de notre administration l’ont gardé proche de l’Etat et de ses divers avantages. Cela a forgé sa culture.
Peut-on espérer un changement de situation et un retour de cet entrepreneur avec ses enfants instruits à une activité productive? Ce n’est pas exclu.
Le travail qui est en train d’être accompli par l’Etat et le gouvernement, si mené correctement, est de nature à rétablir la confiance. Les attributs d’un projet économique et social nouveau et global se mettent en place: l’Etat social, une fiscalité transparente et équitable, une justice plus productive, une meilleure visibilité des politiques sectorielles et spatiales, une nouvelle charte de l’investissement, une administration territoriale mieux formée. Ce qui va permettre à l’Etat d’accomplir correctement ses missions: assurer les services sociaux, instruire et former, protéger les personnes et les biens, améliorer le travail administratif, équiper correctement les territoires. Bref, de faire de mieux en mieux son travail.
Il reste maintenant au gouvernement, qui dispose de plusieurs atouts inédits, à déployer sa force de négociation et montrer le sérieux de son action pour convaincre le monde de l’entreprise de faire le sien, en s’inscrivant, avec un nouvel état d’esprit, dans la nouvelle dynamique nationale. Loin de la recherche de petits avantages ou incitations susceptibles de construire une compétitivité factice.
Il s’agit de participer à l’édification d’un nouveau système Maroc, performant et inclusif.