Le conflit en Ukraine, au vu des raisons réelles et de plus en plus apparentes qui le sous-tendent: la volonté inébranlable des Etats-Unis d’Amérique d’affaiblir et de ne rien partager de son leadership mondial avec la Russie et la Chine, a eu comme résultat, entre autres conséquences, de redessiner la carte mondiale des échanges des énergies fossiles. Politisés à l’extrême et plus onéreux, ces échanges ont fait des victimes collatérales: les pays non autonomes en énergie. Pays, tous niveaux de développement confondus, qui ont vu leurs factures énergétiques augmenter de manière inquiétante.
Le probable étalement dans le temps de cette «nouvelle Guerre Froide» et ses conséquences sur les prix de l’énergie a poussé plusieurs de ces pays à accélérer leur quête de solutions alternatives aux énergies fossiles. Encouragés, contraints, aussi, par leurs engagements à atteindre une activité économique moins décarbonée à l’horizon 2030 et 2050. Rappelons deux faits à ce sujet, qui doivent aussi nous interpeller, en tant que pays soucieux de notre devenir économique: les pays qui ont grandement profité des investissements/relocalisations en Europe en 2021 sont ceux qui ont une économie décarbonée (dont la France, avec 75% de l'énergie d'origine nucléaire) ou fortement engagés dans la décarbonation (la Grande-Bretagne et l'Allemagne); en second lieu, l’Union Européenne, qui va instaurer en 2023 une taxe carbone sur les produits importés... La compétitivité de nos produits est donc concernée. Quels choix énergétiques s’offrent alors au Maroc à l’horizon 2030?
Le Maroc se donne pour objectif de porter la part des énergies renouvelables dans la production électrique globale du pays à 52% en 2030. Un objectif ambitieux. Trop ambitieux, dirait un esprit chagrin.
Le reste (48%) devrait être couvert par les énergies fossiles: charbon, gaz et pétrole, avec une dominante au charbon (68%, 12% et 1,5% selon la configuration actuelle).
A supposer que le projet de gazoduc Nigéria-Maroc puisse avancer convenablement, les engagements récents du Nigéria envers les autres pays de la CEDEAO incitant à l’optimisme, il y a lieu d’être rassuré quant à la sécurité de notre futur approvisionnement en gaz, une ressource énergétique peu polluante. Avec toutefois une interrogation sur son prix, qui ne dépend pas de nous.
Le charbon et le pétrole posent et poseront toujours problème à la fois pour le haut niveau de carbone dégagé, facteur handicapant la compétitivité de nos produits agricoles et industriels, et pour leurs prix instables.
Heureusement il y a une troisième option: l’énergie électrique, produite à partir du nucléaire, qui, à la lumière des contraintes géopolitiques et de son prix, revient en force.
Ce n’est pas une idée nouvelle au Maroc, mais avec le temps et les nouvelles conditions, celle-ci semble avoir mûri.
Au début des années 80, le Maroc avait envisagé la construction d’une centrale nucléaire entre Safi et Larache, équipée de 6 réacteurs de 600 MW. Projet revu à la baisse dans ses capacités, avec un seul réacteur de 900 MW, puis abandonné, car trop important pour les besoins réels du pays à l’époque. L’installation par la suite d’un réacteur expérimental de 2 MW à Maamora, aux environs de Rabat, au début des années 2000, avait confirmé l’intérêt du Maroc pour cette source d’énergie et avait permis de former des dizaines d’ingénieurs dans ce domaine, appelés à servir dans le futur.
Depuis lors le Maroc a évolué et ses besoins en électricité se sont accrus. Le site de l’ONEE révèle que l’électricité produite en 2020 au Maroc avoisine les 40000 GWh, de quoi faire tourner 8 réacteurs de 900 MW et justifier largement l’installation d’une centrale opérationnelle à l’horizon 2030.
Si cette option est envisagée, qu’en est-il de l’offre mondiale actuelle en centrales nucléaires et de leurs modalités de financement? Le leader mondial incontesté dans la construction de centrales est le Russe Rosatom, qui est sur 36 projets de réacteurs en dehors de la Russie, répartis sur douze pays, suivi de trois entreprises chinoises.
Au-delà d’une intégration verticale qui commence par la disponibilité de mines d’uranium, pour passer à la capacité de l’enrichir et à la livraison de la centrale clé en main, réacteurs compris. Rosatom s’engage, ce qui est important, à fournir le combustible qui n’est pas un produit standard. Celui-ci dépend de la technologie du réacteur, tout au long de la vie de la centrale et du fait de reprendre le combustible usé pour retraitement. Il y a aussi une offre technico-financière qui comprend le financement de la centrale, la gestion de celle-ci et la vente de l’électricité, Rosatom se faisant payer sur la marge réalisée.
Les autres offres à travers le monde semblent moins compétitives. A part les Chinois, qui attirent par leurs conditions de financement, les Américains, les Français et les Coréens peinent à remporter des appels d’offres. Vont-ils se ressaisir à la lumière du récents bras de fer avec les Russes? Ils y ont intérêt, car le marché mondial est demandeur.
Il reste une dernière inquiétude, présente chez nous comme ailleurs: la sécurité. L’arbitrage en faveur de l’option nucléaire fait par plusieurs pays et non des moindres, et vu notre situation de dépendance énergétique, le bas prix du kWh et la rareté des incidents enregistrés font nettement pencher la balance en faveur de cette option.
Leila Benali a demandé un débat national, c’est une bonne chose, espérons qu’il sera empreint de responsabilité et mettra en avant l’intérêt général.