En levant le lièvre de métiers entiers non soumis à un impôt significatif sur le revenu qui profitent indirectement ou directement de services et d’aides publics, il a posé une problématique bien réelle et, en quelque sorte, mérité son salaire. Salaire souvent décrié.
Avant de traiter le fond de la question posée par le Conseiller, je ne résiste pas à la tentation de traduire en chiffres le cas cité. Pour une ville comme Casablanca, un taxi urbain réalise pour son propriétaire un chiffre d’affaires quotidien moyen de 400 dhs (250 dhs le jour et 150 dhs la nuit). Cela fait pour 200 véhicules 80.000 dhs par jour. Pour une année de 300 jours d’activité, il doit y avoir des jours d’arrêt, le chiffre avoisine 24.000.000 dhs. Bien sûr, il y a des charges: traites, location de l’agrément, entretien mécanique, collaborateurs pour gérer la flotte. Comme il y a aussi des subventions. Disons pour faire court que la marge brute est de un tiers. Ce qui dans le cas d’espèce constitue 8.000.000 dhs par an.
Combien ce contribuable, pris comme exemple limite, a-t-il acquitté d’impôts sur cette somme? De la réaction du ministère de l’Intérieur qui en connait un rayon sur cette profession, cela ne doit pas être beaucoup. La sortie rapide d’un texte qui organise la profession et impose la transparence est éloquente.
Combien de corps de métier sont dans une situation similaire? Soumis à un impôt insignifiant, sans commune mesure avec leurs revenus réels. La question n’est pas nouvelle dans notre pays.
Plusieurs corporations, et non des moindres, vivent l’imposition directe de leurs revenus comme une véritable agression et n’hésitent pas à le faire savoir. Question de culture, d’héritage historique, d’égoïsme pourtant lointain de nos valeurs. Les justifications fusent: on paie les impôts à travers la TVA, le peu qui est payé couvre largement les faibles services rendus par l’Etat, ce n’est pas prévu dans notre religion…
Que faire face aux besoins de plus en plus croissants de l’Etat en ressources financières pour couvrir ses nouvelles missions sociales et maintenir l’investissement public à un haut niveau? Où se procurer la ressource? Dans le budget général de l’Etat pour 2022, sur un total charges de 520 milliards de dirhams, les recettes ordinaires (impôts+monopoles+privatisations) couvrent moins de 50% avec 254 milliards. C’est peu, le gap est important. En France, elles couvrent plus de 95% du budget.
Deux solutions s’offrent aux architectes des finances publiques pour augmenter les recettes. La plus facile consiste à charger encore plus la population qui a opté pour la transparence, avec un risque: atteindre un seuil d’intolérance. La plus laborieuse, car elle interpelle l’autorité de l’Etat, est d'augmenter la population éligible à l’impôt.
D’abord, répondons à une question générale. Quel est le niveau de pression fiscale au Maroc? Quelle part l’Etat prélève-t-il sur la richesse produite annuellement par le pays (PIB)? Ya-t-il une norme? Les taux de pression fiscale diffèrent selon les pays, en fonction de l’implication de l’Etat dans l’activité économique et le niveau de protection sociale qu’il assure. Cela va de 25% pour les USA à 45% pour la Suède et la France. Ces deux derniers ont des politiques sociales très développées.
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le taux de pression fiscale au Maroc tourne autour de 25%, tandis que les analystes nationaux penchent pour 22%. Ce taux n’inclut pas le secteur informel. Au cas il où il serait pris en considération, on descend en dessous de 20%.
Dire que les Marocains, en général, paient trop d’impôts est erroné. Il y a encore de la marge pour les prélèvements. Ce qui apparaît à l’évidence est que certaines catégories ayant opté pour la transparence ou qui sont soumises à un prélèvement à la source supportent une pression supérieure aux autres, il y a déséquilibre. L’unique solution restante est l’élargissement de la population éligible. Son identification ne devrait pas poser de problème avec le développement des services fournis par l’Etat et l’utilisation croissante du numérique.
Le gouvernement a été invité par le Roi Mohammed VI à accélérer la mise en place de la réforme fiscale. A défaut de financements conséquents, il est difficile d’assurer les services constitutifs de l’Etat-social et de réaliser les investissements pouvant assurer un taux de croissance de 6%. La crise de Covid-19 a montré à l’ensemble des citoyens le rôle essentiel de protection de la société que peut jouer l’Etat. Elle a permis aussi un renforcement de la confiance en ses instances. Le prolongement de cette mission à travers l’Etat-social sera bénéfique à notre société, en augmentant l’inclusion.
Gageons que la corporation des transporteurs ouvrira le bal à d’autres corps de métier en vue d’une participation de l’ensemble au développement du pays. Sans sonnette d’alarme d’un Conseiller bien inspiré.