Ambiance surréaliste, il y a quelques jours, à la Chambre des Conseillers. Un conseiller, issu de la profession, interpelle le ministre du Transport et de la logistique sur la situation du secteur de la logistique. Le ministre répond en égrenant plusieurs points du contrat programme du secteur signé en …2010, en omettant toutefois de dire qu’il n’a été réalisé qu’à hauteur de moins de 2% ( 28 ha sur les 2.000 ha projetés), devant un étonnement feint et plein de mansuétude du conseiller. On finit le tour de la question par se donner rendez-vous en 2030, pour ce qui devait être réalisé en 2020.
Revenons à l’étonnement nécessairement feint du conseiller. Il ne pouvait ignorer les taux de réalisation, étant de la profession et ayant été ultérieurement conseiller au sein de la même Chambre. A-t-il déjà interpellé les précédents gouvernements? Probablement que oui. A-t-il été entendu? Au vu des réalisations, la réponse ne peut être que négative. Ce qui est dérangeant aussi, c’est que le ministre n’a pas semblé capitaliser sur l’expérience qui l’a précédé, les raisons des retards. On aurait souhaité qu’il s’engage sur un calendrier de réalisations. Au lieu d’un, limite, on fera de notre mieux.
Une démarche similaire à celle de l’actuelle ministre du Tourisme qui, dans une déclaration très remarquée, s’est engagée, reconnaissant que c'était là remarquable, à doubler le nombre d’arrivées de touristes à l’horizon 2026, des 13 actuels à 26 millions de touristes. Comment réaliser une croissance aussi importante? Comment multiplier par deux: nos capacités d’accueil, les ressources humaines qualifiées, le transport… Aucune communication sur les plans d’action et les taux de croissance prévisionnels annuels. Certes avec ces successions de pandémies, il demeure difficile de s’assigner des objectifs, alors pourquoi s’engager sur des chiffres?
Au début des années 70, un regretté ministre du Plan au Maroc, majorait systématiquement les «prévisions» des taux de croissance dans les différents secteurs. Devant l’étonnement de ses collaborateurs économistes et ingénieurs, plus empreints de réalisme, il citait en exemple les économies dirigistes pour lesquels les taux sont d’abord «des stimulants» à un meilleur rendement.
En ajoutant aux attributions du Parlement l’évaluation des politiques publiques, les rédacteurs de la Constitution de 2011 se sont inspirés d’une tradition née au début des années soixante du siècle dernier dans les démocraties anglo-saxonnes et reprise par les démocraties européennes dans les années quatre-vingt-dix.
L’approche a fait ses preuves et a montré son utilité à la fois pour le gouvernement, le Parlement et l’information du citoyen. Son objectif est d’introduire un surcroît de rationalité dans l’action gouvernementale, en l’obligeant à assigner des objectifs clairement identifiables à ses programmes, communiquer sur les résultats et mesurer l’impact sur les populations concernées. L’utilisation, essentiellement, d’instruments quantitatifs, devrait faire ressortir les moyens engagés, les résultats escomptés, l’impact sur les grands agrégats économiques (PIB), sur la croissance et certains indicateurs sociaux: emploi, santé et inégalités; le tout, situé dans une frise chronologique, serait de nature à faciliter le travail de suivi et d’évaluation du parlementaire. Car autant le dire très franchement, au stade où en est le niveau de formation économique de nos parlementaires, il appartient à nos ministres «formés» de participer à l’enrichissement du débat politique en présentant des copies correctes et «lisibles».
En adressant d’abord l’invite à l’exécutif afin de «faciliter» le travail à l’organe législatif en encourageant sa participation aux évaluations des politiques publiques initiées par lui, ne faisons-nous pas preuve de «naïveté» politique?
Tout organe exécutif qui a la «compétence» pour présenter des programmes répondants aux critères modernes et ne le fait pas, commet une double erreur. La première, disons, est managériale: un programme de qualité a plus de chances de réussite. La seconde est politique, l’expérience ayant montré que la contribution du Parlement, en sus de donner un surcroît de crédibilité aux programmes, pouvait l’enrichir au niveau de l’efficience de la dépense publique, de l’organisation et favoriser le soutien citoyen.
L’amélioration du rendu de notre processus démocratique, un système cher autant au Roi et qu'au Peuple, demeure encore tributaire, pour les raisons explicitées, d’une «collaboration» positive entre l’exécutif et le législatif. Le premier dispose de plus de moyens «techniques» pour nous tirer vers le haut.