L’Humanité, quotidien du Parti communiste français, a consacré une page tout entière à un détenu marocain de droit commun, le dénommé Ennaâma Asfari. C’est à la page 24 de l’édition du 16 mai.
L’homme a été condamné à une peine de trente ans de prison pour sa participation à l’émeute de Gdeim Izik, qui fit onze morts parmi les forces de l’ordre, à la suite d’un procès au cours duquel les droits de la défense furent respectés.
On lit pourtant, dans l’article de L’Humanité, que l’homme serait «arbitrairement détenu depuis 2010».
Très logiquement, L’Huma devrait donc écrire que les prisons françaises abritent 76.258 personnes «arbitrairement détenues» puisque, selon ce média, un procès en bonne et due forme ne vaut rien.
À moins que le PC français et son organe de propagande n’estiment qu’un procès en France vaut quelque chose, mais ne vaut rien au Maroc? On en est encore à Tintin au Congo?
Le plus extraordinaire, c’est que L’Huma affirme qu’Asfari n’était même pas à Gdeim Izik -mais (tenez-vous bien) que l’article est illustré par une photo du bonhomme légendée comme suit: «Dernier cliché d’Ennaâma Asfari pris lors de sa participation au soulèvement de Gdeim Izik.» Vérifiez, vérifiez… C’est trop beau pour être vrai, mais c’est pourtant vrai: dans la même page, le journal montre le gus au milieu de l’émeute et affirme qu’il n’y était pas… Hilarant!
Autre contradiction flagrante: l’homme serait «soumis à l’isolement» mais, quelques lignes plus loin, on apprend que L’Humanité «a pu s’entretenir avec lui au téléphone». On a connu des isolements plus étanches…
Mais ce n’est pas tout. L’Humanité entreprend dans la suite du pensum de construire une image de héros-révolutionnaire-romantique-intellectuel de l’ami Asfari. C’est quasiment Antonio Gramsci, dont les Cahiers de prison ont eu un certain impact jadis.
Comment construit-on l’image d’un intellectuel? Par ses lectures. Donc, l’oiseau lit énormément -ce qui prouve d’ailleurs que son régime carcéral n’est pas si rigoureux que ça. Les opposants du Polisario, parmi les séquestrés de Tindouf, ont-ils le loisir de commander et de recevoir n’importe quel livre dans leur geôle? Vous me permettrez d’en douter.
On apprend, grâce à L’Huma, qu’Asfari dévore en ce moment L’Être et le Néant, du regretté Jean-Paul Sartre.
Une parenthèse: un jour, au Touquet, André Glucksman me confia que L’Être et le Néant lui avait servi à trois choses au cours de sa carrière: a) impressionner les filles pendant ses études -il se promenait avec le livre sous le bras dans les couloirs de la Sorbonne; b) coincer un pied trop court de la table branlante qui ornait sa piaule d’étudiant; c) vérifier que le maraîcher ne l’avait pas grugé en lui pesant son kilo de pommes de terre -le volumineux tome de Sartre pesait exactement un kilo.
Quant à le lire… «Vous n’y pensez pas, mademoiselle, me dit Gluksmann ce jour-là; c’était imbitable.»
Et pourtant Glucksmann préparait l’agrégation de philosophie. Et il devint plus tard un des ‘nouveaux philosophes’ des années 70/80. L’opus de Sartre était incompréhensible, imbitable pour lui, mais, comment dire… bitable pour Asfari?
Allons donc! Posture que tout cela. Narratif -c’est la mode- obligeamment fourni par le coco journaliste.
À moins que…
Et s’il s’agissait d’un acte manqué -au sens de Freud? Si, en citant au hasard le titre d’un livre prestigieux, mais bien au-delà de ses capacités intellectuelles, Ennaâma Asfari ne faisait allusion qu’à son titre?
Quelque part, peut-être inconsciemment, il doit bien se demander s’il a choisi le bon chemin.
L’Être et le Néant. Eh oui… Il s’agit de choisir entre être Marocain, c’est-à-dire être quelqu’un, citoyen d’un grand pays qui va de l’avant, ou se fourvoyer dans le néant du Polisario, dans le néant de tentes dressées dans le désert et gardées par le caporal Chengriha.
Et ce choix, M. Asfari, cette alternative, ce n’est pas imbitable.