«Ghana M3ana» («Le Ghana est avec nous»). La trouvaille, inspirée, est du confrère Al Ahdath Al Maghribia, qui paraphrasait un dicton bien marocain en commentant une information qui n’a pas fait grand écho. Elle n’en est pas moins de la plus haute importance, s’agissant de la dynamique diplomatique actuelle en faveur de la marocanité du Sahara. Elle concerne qui plus est un poids lourd du continent africain. Mardi 7 janvier, le Ghana annonçait la suspension de ses relations diplomatiques avec la pseudo-république sahraouie (Rasd). La décision a été communiquée dans un document officiel du ministère des Affaires étrangères et de l’Intégration régionale de la République du Ghana, adressé au ministère marocain des Affaires étrangères.
La République du Ghana «a décidé d’informer immédiatement, à travers les canaux diplomatiques, le Gouvernement du Royaume du Maroc, l’Union africaine et l’Organisation des Nations unies, de cette position» et a exprimé son appui aux «efforts de bonne foi déployés par le Royaume du Maroc afin de parvenir à une solution acceptée par toutes les parties».
Nouveau président, nouvelle position
Le choix du moment n’est pas fortuit. L’annonce a coïncidé avec la date de la prise de fonction officielle du nouveau président ghanéen, John Dramani Mahama, dont la cérémonie d’investiture a eu lieu le même mardi 7 janvier. Respectivement président de la Chambre des représentants et ministre des Affaires étrangères, Rachid Talbi Alami et Nasser Bourita y ont d’ailleurs représenté le roi Mohammed VI.
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Politologue et fin connaisseur du dossier du Sahara atlantique, Mustapha Sehimi voit dans ce timing une manière de mettre en relief une rupture entre l’attitude passée du Ghana, soutien du front séparatiste avec une reconnaissance de la Rasd dès 1979, et celle engageant le présent et l’avenir. Une surprise donc? Aucunement, rétorque l’expert. «Il s’agit davantage d’un processus de maturation qui est arrivé à son terme. Après plusieurs alternances politiques, le Ghana atteint une forme de maturité politique. Son évolution comme ses rapports au monde obéissent aujourd’hui à la raison et non à l’idéologie», explique le politologue. Il en veut pour preuve l’argument invoqué dans le communiqué officiel du ministère ghanéen des Affaires étrangères: la reconnaissance de la Rasd y est présentée comme un obstacle majeur au processus de règlement engagé au niveau onusien. «C’est la première fois qu’un argumentaire de ce type est avancé par une diplomatie étrangère s’agissant de l’affaire du Sahara», note cet autre observateur proche des arcanes diplomatiques ayant requis l’anonymat.
Avec le Ghana, ce sont aujourd’hui 12 pays africains et 46 dans le monde à retirer leur reconnaissance de la prétendue Rasd, et ce, depuis 2000. Depuis 1980, ils sont plus de 20. Quelque 17 autres nations africaines n’ont jamais reconnu l’existence de la Rasd et 30 pays du continent ont ouvert un consulat au Sahara, ce qui représente environ 40% des pays de l’Union africaine.
Par année, les retraits de reconnaissance de la pseudo-Rasd par les pays africains
Pays | Année |
---|---|
Guinée équatoriale | 1980 |
Burkina Faso | 1996 |
Sao Tomé-et-Principe | 1996 |
République du Congo | 1996 |
Bénin | 1997 |
Eswatini | 1997 |
Liberia | 1997 |
Togo | 1997 |
Sierra Leone | 2003 |
Madagascar | 2005 |
Tchad | 2006 |
Cap-Vert | 2007 |
Malawi | 2008 |
Seychelles | 2008 |
Burundi | 2010 |
Guinée-Bissau | 2010 |
Libye | 2011 |
Zambie | 2011 |
Soudan du Sud | 2018 |
Ghana | 2025 |
En tout, 40 pays africains soutiennent désormais le Maroc et sa solution d’une autonomie des provinces méridionales sous souveraineté du Royaume. Dans le monde, ils sont au nombre de 120.
Deuxième puissance économique de la CEDEAO
Pays de 35 millions d’habitants, le Ghana est la deuxième puissance économique de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), après le Nigeria. Ses forces: son pétrole et gaz, son cacao et son industrie. Considéré comme l’un des pays les plus stables d’Afrique de l’Ouest, il jouit d’une grande aura dans le continent et se distingue par son influence, notamment en matière de médiation dans les conflits régionaux. Sa crédibilité, il la tire d’un passé glorieux et de figures comme Kwame Nkrumah, président de la République de 1960 à 1966, père de son indépendance, artisan du panafricanisme et un des rédacteurs de la Charte de l’Organisation de l’union africaine (OUA).
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Les relations entre le Maroc et le Ghana datent justement de cette époque. Le Ghana a été membre du groupe de Casablanca, qui a réuni en 1961 le Maroc, l’Égypte, le Mali, la Guinée, la Libye et le gouvernement alors provisoire de l’Algérie. C’est la charte de Casablanca qui a servi de référentiel, deux ans plus tard, à la création de l’OUA en 1963. Malgré les clivages, les liens ont été maintenus, avec pour point d’apogée la visite dans ce pays du roi Mohammed VI en 2017. Une vingtaine d’accords de coopération avaient alors été signés.
Effet d’entraînement
En dehors de l’Égypte, en qualité de pays arabe, le Ghana est le seul pays africain qui a été visité par un président américain, en l’occurrence Barack Obama en 2009. Pays anglophone, sa décision ne va pas manquer de faire réfléchir un certain nombre d’États africains qui, pour l’instant, ne se sont pas prononcés sur le plan d’autonomie marocain. On en citera le Kenya, mais aussi le Nigeria, des pays où des processus de maturation sont également en cours.
Autant dire qu’un véritable effet boule de neige est attendu, surtout que l’annonce de la rupture du Ghana avec la Rasd intervient à la veille du prochain sommet de l’Union africaine (UA), prévu fin février prochain à Addis Abeba. «Nul doute que l’Union africaine prendra acte de cette suspension et que cela va pousser d’autres pays, encore réservés, sinon hostiles, à questionner leur position. C’est une dynamique intéressante qui va conduire, et le plus tôt sera le mieux, l’Union africaine à s’interroger sur le fait d’avoir dans ses rangs, en tant que membre, une entité qui constitue un obstacle majeur à la paix, la sécurité et la stabilité dans la région sahélo-saharienne», explique notre source.
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De quoi renforcer le «Momentum» Maroc, souligné dans la résolution 2756 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée le 31 octobre 2024, qui consacre la dynamique irréversible de soutien international à l’option de l’autonomie. L’Envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU, Staffan de Mistura, devra en tenir compte en avril prochain lors d’une réunion informelle prévue au Conseil de sécurité. En octobre dernier, il avait d’ailleurs affirmé se donner six mois pour tirer les conclusions de sa mission. Un délai qui expire, justement, en avril. Il faut dire que le diplomate onusien s’est sérieusement décrédibilisé sur le chemin, notamment en se rendant le 31 janvier 2024 en Afrique du Sud, pays non concerné par le conflit et ouvertement hostile à l’intégrité territoriale du Maroc. Une position partiale et partisane qui jure avec la neutralité devant présider à sa mission. Staffan de Mistura a même aggravé son dérapage en réchauffant un plan de partition du Sahara quelques jours avant le vote de la dernière résolution du Conseil de sécurité, ressuscitant ainsi une proposition soufflée dès 2002 par le défunt président algérien Abdelaziz Boutflika à son prédécesseur James Baker.
L’Histoire en marche, l’Algérie out
«Dans tous les cas, nous sommes résolument face à une nouvelle donne et l’année 2025 va certainement accélérer le cours des retraits de reconnaissance de la Rasd et des positions d’appui au Maroc», résume Mustapha Sehimi. La prise de fonction prochaine du président américain Donald Trump, qui avait acté en décembre 2020 la souveraineté du Maroc sur le Sahara atlantique, va également peser dans ce sens. Et la tendance est lourde: au sein de l’Union européenne, 20 pays sur les 27 membres appuient le plan marocain. Idem en Amérique latine, jadis fief de l’option séparatiste, aujourd’hui majoritairement en faveur du Royaume. Premier pays à reconnaître la république fantoche (en 1980) et qui abritait ce qui fut sa première soi-disant ambassade en Amérique latine, la République du Panama a décidé, le 21 novembre 2024, de suspendre ses relations diplomatiques avec la pseudo-Rasd. Des pays aussi proches que la Mauritanie et aussi puissants que la Chine se tâtent, et nous ne sommes pas à l’abri de grandes surprises dans les semaines ou les mois à venir. «C’est une capitalisation qui s’est faite, une accumulation d’efforts marathoniens. Ce n’était pas facile et le chemin est encore long, mais les résultats sont au rendez-vous», observe le politologue.
La nouvelle position du Ghana et avant elle celle de pays comme la France sont également l’illustration de l’isolement de l’Algérie, aujourd’hui le seul pays arabe à s’opposer à la souveraineté du Maroc sur son Sahara, et l’un des rares dans le continent, avec l’Afrique du Sud. Alger, qui vient également de perdre l’intergroupe «Sahara occidental» au Parlement européen, un cadre d’agitation au service de sa propagande, est aujourd’hui en conflit ouvert avec la France à cause du soutien de Paris à l’intégrité territoriale du Maroc. Elle entretient aussi des rapports tendus avec l’Espagne, et plus largement avec l’Union européenne. Sérieusement entamées avec la Russie, ses relations se sont sérieusement détériorées avec la Chine, mais aussi avec son voisin mauritanien, longtemps considéré comme une extension de son espace d’influence. Sans parler du Mali et du Niger, qui dénoncent ouvertement les basses manœuvres du régime d’Alger.
Le fossé se creuse à vue d’œil. «Il n’y a pas de plan B pour le régime d’Alger. Il n’a d’autre choix que se réinscrire dans le consensus onusien en acceptant de participer aux tables rondes», tranche notre interlocuteur. Il faut préciser que l’Algérie avait pris part à deux reprises à ces tables rondes, en décembre 2018 et mars 2019, et qu’elle y était représentée à chaque fois par son ministre des Affaires étrangères. Elle s’était donc engagée au plus haut niveau. Dire aujourd’hui que ce processus n’est pas valable revient à se défausser et à se mettre définitivement en dehors de la légalité internationale. Pendant ce temps-là, le Maroc s’emploie à écrire l’Histoire