L’intelligence artificielle s’impose aujourd’hui comme un nouvel instrument de puissance. Les nations capables de maîtriser les algorithmes, de contrôler la chaîne des semi-conducteurs et d’exploiter les données stratégiques disposent d’un avantage décisif.
En la matière, les États-Unis et la Chine dominent largement, affirmant leur leadership dans cette nouvelle course technologique.
La course à l’intelligence artificielle est lancée et elle ne fera que s’intensifier entre les grandes puissances, tant elle cristallise les enjeux de leadership technologique. Mais au-delà des usages économiques et militaires, l’IA prend également une dimension diplomatique. Elle s’invite dans les négociations internationales, la cybersécurité, la médiation, et surtout dans l’anticipation des crises.
Mais l’intelligence artificielle ne se limite pas aux sphères diplomatique et prédictive. Son rôle devient central dans les applications militaires et sécuritaires, donnant naissance à ce que l’on qualifie désormais de guerre algorithmique.
Elle se décline à travers plusieurs dimensions: l’utilisation de drones autonomes capables de prendre des décisions en temps réel, des systèmes de commandement assistés par IA, et l’analyse automatisée des données de renseignement.
Dans le champ de la cyber-conflictualité, l’IA permet à la fois de détecter, de lancer ou de contrer des cyberattaques, offensives comme défensives, redéfinissant les logiques de puissance numérique.
Elle intervient aussi dans les dispositifs de géo-surveillance, notamment pour le contrôle des frontières, la reconnaissance faciale, ou encore la surveillance satellitaire, renforçant, ainsi, les capacités de veille stratégique des États.
Alors que la course mondiale à l’intelligence artificielle s’accélère, les rapports de force internationaux connaissent une reconfiguration silencieuse mais profonde.
L’ordre mondial, longtemps façonné par la puissance militaire ou les équilibres géostratégiques traditionnels, est désormais traversé par une dynamique nouvelle: celle des pôles technologiques.
Nous assistons à l’émergence d’une forme de techno-parité, où la maîtrise des algorithmes, des données et des infrastructures numériques devient un levier de puissance à part entière.
Dans ce nouveau paysage, les États ne sont plus les seuls acteurs en lice. Les géants du numérique, tels que les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) aux États-Unis et les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) en Chine, jouent un rôle central.
Leur influence dépasse largement le cadre économique: ces entreprises dictent des orientations technologiques, façonnent les usages sociaux et interviennent, de fait, dans la géopolitique mondiale.
À leurs côtés, des start-ups deeptech, porteuses d’innovations de rupture, ainsi que des petits États ou des acteurs non étatiques dotés d’intelligences artificielles avancées, parviennent à acquérir une influence disproportionnée, bouleversant les hiérarchies traditionnelles.
Cette redistribution de la puissance soulève d’importants enjeux éthiques et politiques. L’absence de normes internationales claires concernant l’usage militaire de l’intelligence artificielle interroge.
Le fossé technologique entre le Nord et le Sud, déjà préoccupant, risque de se creuser davantage. À cela s’ajoute une explosion des pratiques de désinformation, d’ingérence électorale et d’opérations d’influence, rendues possibles par des outils de plus en plus sophistiqués et difficilement traçables.
«L’écosystème national de recherche et développement en IA reste embryonnaire, freinant la consolidation d’une souveraineté technologique pleinement opérationnelle dans ce domaine crucial.»
— Mustapha Sehimi
Trois trajectoires mondiales se dessinent.
La première, pessimiste, serait celle d’un blocage stratégique lié à la rivalité sino-américaine, où l’IA devient un terrain de confrontation permanente.
La deuxième, plus institutionnelle, verrait la mise en place d’une gouvernance mondiale de l’IA, sur le modèle de l’AIEA pour le nucléaire, bien que sa faisabilité à court terme reste incertaine.
Enfin, une troisième voie pourrait être celle d’une multipolarité algorithmique, dans laquelle des pôles secondaires tels que l’Europe, l’Inde, la Russie, Israël ou encore, certains pays du Golfe construiraient leur propre souveraineté technologique.
Une chose est sûre: la puissance ne se mesure plus uniquement en armes ou en PIB. Elle se calcule désormais en données, en calculs distribués, en capacités d’apprentissage automatique.
L’ère de la compétition algorithmique est ouverte, et avec elle, une série de défis cruciaux pour l’équilibre mondial. Il est temps que la communauté internationale se penche sérieusement sur les règles du jeu.
Face à ce qu’il faut bien voir, à savoir à un processus de militarisation mondiale de l’IA, quelle est la réponse du Maroc?
La situation actuelle du Maroc se caractérise par plusieurs atouts stratégiques majeurs.
Le pays bénéficie d’une position géographique clé, au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Atlantique, qui en fait un point d’ancrage géopolitique de premier plan.
Son appareil militaire est en pleine modernisation depuis 2015, avec une montée en gamme technologique notable: acquisition de F-16, déploiement de drones, renforcement des systèmes radar et d’artillerie.
À cela s’ajoutent des partenariats stratégiques solides avec des puissances militaires et technologiques telles que les États-Unis, la France, Israël ou les Émirats arabes unis.
Cependant, ces avancées contrastent avec des capacités locales encore limitées en intelligence artificielle, notamment dans le domaine militaire.
L’écosystème national de recherche et développement en IA reste embryonnaire, freinant la consolidation d’une souveraineté technologique pleinement opérationnelle dans ce domaine crucial.
Dans certains domaines, l’IA militaire est déjà (ou pourrait être) intégrée.
Pour ce qui est des drones autonomes et semi-autonomes, il faut citer l’acquisition de drones armés (Bayraktar TB2 (Turquie), Harop (Israël), Win Loong II (Chine) et le programme potentiel d’intégration des IA de reconnaissance et de ciblage autonome dans les flottes actuelles.
Un autre domaine clé d’application de l’intelligence artificielle concerne la surveillance des frontières et des zones sensibles, notamment dans des régions stratégiques comme le Sahara marocain, le Sahel ou le bassin méditerranéen.
L’enjeu est d’exploiter les capacités de l’IA pour traiter, en temps réel, les flux de données issus de caméras de surveillance, capteurs thermiques et satellites.
Il s’agit non seulement de renforcer l’efficacité des dispositifs de contrôle territorial, mais aussi de développer des systèmes d’IA à vocation défensive, capables d’anticiper, de détecter et de contrer d’éventuelles intrusions numériques ou cyberattaques ciblant ces zones.
La prise de conscience est désormais réelle: avec une forte dose de volontarisme, elle entend appréhender les axes d’une stratégie du Royaume à l’horizon 2030.
Sur la base de quels axes?
Le premier a trait à une doctrine IA militaire propre pour identifier les usages pertinents.
Le second axe concerne la création d’un pôle techno-sécuritaire national, inspiré du modèle de la DARPA américaine (Defense Advanced Research Projects Agency), l’agence du Département de la Défense chargée de piloter les innovations de rupture à usage militaire.
Il s’agirait, pour le Maroc, de mettre en place un «DARPA marocain», réunissant des institutions académiques de pointe telles que l’UM6P, l’INPT ou l’ENSIAS, autour de projets de recherche stratégique en intelligence artificielle.
L’objectif est double: renforcer la coopération scientifique et sécuritaire autour de l’IA, et développer des capacités technologiques souveraines, à la croisée des enjeux de défense, de cybersécurité et de compétitivité industrielle.
Un tel projet structurant placerait le Maroc sur une trajectoire d’anticipation technologique et de maîtrise stratégique, à l’heure où la souveraineté numérique devient un levier clé de puissance.






