La majorité gouvernementale et l’échéance électorale de 2026: chacun pour soi

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

ChroniqueDifficile d’évacuer cette situation: la majorité actuelle accuse bien des difficultés. En apparence, prévalent dans son discours officiel convenu la cohésion et l’unité. Mais l’ordre de marche en vue des élections législatives de 2026 nourrirait plutôt une compétition et une rivalité.

Le 20/02/2025 à 16h00

Sur le papier, le cabinet Akhannouch a été investi pour la présente législature (2021-2026). Il dispose d’une large majorité de 270 députés de la Chambre des représentants -respectivement 102 du RNI, 87 du PAM et 81 de l’Istiqlal), soit quelque 70 voix au-dessus de la majorité absolue (198 élus) des 395 membres de cette institution. Dès le début de sa mandature, le 19 février 2022, une Charte de la majorité a été signée entre le RNI et ses deux alliés. Elle s’articule autour de cinq axes: l’approche participative, l’efficacité, la transparence dans la gestion, la solidarité dans la responsabilité et le dialogue. Les précédents gouvernements PJD (2012-2021) n’avaient pas les mêmes atouts… S’ils avaient le soutien du Roi, parce qu’ils procédaient des urnes, il était strictement «institutionnel» et ne débordait pas dans le périmètre «politique», tant s’en faut.

Le programme d’investiture du gouvernement Akhannouch a été voté par le Parlement, le 13 octobre 2021, par 213 voix contre 74 et une abstention. Au passage, cette observation: 120 députés n’ont pas participé à ce vote, dont une bonne cinquantaine de la majorité -signe que le chef de l’exécutif n’a pas la haute main sur sa majorité.

Depuis son installation, ce cabinet n’a pas eu, semble-t-il, la «baraka». Référence est faite à des années difficiles, liées à l’impact des deux années suivant la pandémie de la Covid-19 (2020-2022), couplées à une sécheresse qui en est aujourd’hui pratiquement à sa sixième année. La croissance reste médiocre pour les trois années écoulées (1,3%, puis 3,2% et 3%), avec des prévisions de 3,9% en 2025. Un chiffre bien optimiste, alors que la campagne céréalière ne sera que de l’ordre de 30 millions quintaux, bien loin des 70 millions de quintaux retenus. La situation de l′emploi s’inscrit elle aussi dans ce même registre, s’étant détériorée à un taux de chômage de 13,7%. De même, le taux d’activité des femmes ne décolle pas (environ 20%), alors qu’il était prévu de le porter à 30% en 2025-2026. C’est dire que le grand programme en la matière lancé cette année, avec une enveloppe de 140 milliards de dirhams, se veut une mobilisation des politiques publiques. Certes, la protection sociale se généralise -un grand chantier royal-, mais reste cette équation problématique: comment stimuler des dynamiques de croissance de nature à créer davantage d’emplois?

Les indicateurs sectoriels sont positifs, tels le chiffre des 17,4 millions de touristes en 2024, ou encore celui des 17,23 milliards de dirhams des investissements directs étrangers (IDE), en hausse de plus de 55% par rapport à l’année précédente. Mais c’est la détérioration du pouvoir d’achat des citoyens qui est sans doute la première préoccupation. Des mesures seront-elles prises au cours de cet exercice? Cela conduit à s’interroger sur la volonté et la capacité de ce gouvernement à y apporter des réponses concrètes.

La charge vient d’être portée, outre les interpellations récurrentes des partis de l’opposition -surtout le PPS et le PJD-, par le secrétaire général de la formation istiqlalienne, Nizar Baraka, ministre de l’Équipement et de l’Eau, lors d’un récent meeting à Ouled Frej, avec des dénonciations de pratiques spéculatives sur les produits alimentaires, notamment la viande rouge et le poulet. Une sortie au parler vrai qui a provoqué bien des interrogations et des inquiétudes du côté du chef de l’exécutif. On peut en tirer ce fait: c’est l’ouverture de la campagne pré-électorale pour l’échéance de septembre 2026!

«Les citoyens ne votent pas vraiment sur la maîtrise des équilibres macroéconomiques, mais sur leurs conditions quotidiennes de vie et de travail.»

Que veut donc Nizar Baraka? Être d’ores et déjà un lanceur d’alerte visant le Chef du gouvernement au cours de cette année 2025, afin de rebondir dès le début 2026 sur de nouveaux axes du programme de son parti. Préoccupé depuis 2021 par la paupérisation des classes moyennes, il élargit son approche à des segments populaires plus larges -une version plus «populiste» de l’égalitarisme historique de ce parti. Il l’a dit et répété: tout sera fait pour que le parti de l’Istiqlal soit en tête du scrutin de 2026.

Autant dire que l’alliance actuelle avec le RNI et le PAM sera mise à rude épreuve durant l’année et demie à venir. Un climat qui va peser certainement durant cet intervalle. Le PAM se risque lui aussi, ici et là, dans ce rôle: il vise le premier rang pour décrocher la direction du prochain cabinet. Sa première responsable, Fatima-Zahra Mansouri, qui est aussi ministre de l’Habitat, se prépare à cette fin.

Reste la décision des urnes. Comment se dérouleront les prochaines élections? L’on peut formuler quelques pistes. D’abord celle d’une improbable reconduction de Aziz Akhannouch, même si le RNI est en tête. Pourquoi? Parce qu’une coutume non écrite veut qu’un Chef de gouvernement ne soit pas reconduit pour un second mandat. Ou encore celle qui retient que le PAM, dirigé par une femme, arrive à surclasser ses alliés d’aujourd’hui. Ce serait alors la consécration et la légitimation rétroactive d’un «bon choix» fait en 2009, lors de la création du parti, mais qui avait été contrariée par le Printemps arabe et le Mouvement du 20 février, un large mouvement contestataire qui fut une aubaine pour la formation islamiste du PJD durant deux législatures.

En attendant cette échéance, qui assumera et défendra le bilan du cabinet Akhannouch? Il paraît acquis que cette évaluation ne sera pas univoque et qu’elle sera cristallisée sur sa personne. Poussent dans ce sens plusieurs facteurs: sa mise cause pour des conflits d’intérêts, son refus de légiférer sur l’enrichissement illicite et de lutter plus efficacement contre la corruption, sa gouvernance «par le haut», son côté dirigiste avec des ministres qui sont ses obligés et qui ne justifient pas d’une compétence particulière, et enfin une communication problématique…

Force est de faire ce constat: il est au plus bas au prisme de la popularité! À la différence de 2021, il sera considéré comme responsable et comptable du bilan d’un mandat qui a un actif dans tant de domaines, mais aussi un passif social davantage ressenti. Les citoyens ne votent pas vraiment sur la maîtrise des équilibres macroéconomiques, mais sur leurs conditions quotidiennes de vie et de travail. D’ici là, ses deux alliés actuels veilleront à se distancier de ce bilan et tenteront de redonner une identité propre à leurs actions dans leurs départements respectifs. Chacun pour soi, donc.

Par Mustapha Sehimi
Le 20/02/2025 à 16h00

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Une promesse éléctorale qui rapporterait d'innombrables voix aux parti(s) qui la tiendrait: c'est le maintient de l'horaire GMT tout au long de l'année.

A mon humble avis, le bilan des actions gouvernementales et globalement positif. Le RNI devrait probablement remporter de nouveau ces éléctions!

Il faut garder un œil sur le meilleur des baromètres citoyens ; notre position dans le classement sur la corruption. Il mesure à la fois la transparence, l'état de droit, les obstacles au développement, les etc. Bien sûr, il n'annule pas toutes les perspectives de développement socio-économiques, politiques et culturels... Mais il les réduit significativement, inhibe la mobilisation des bonnes volontés et la confiance dans les politiques... Or, nous constatons chaque année le recul de la position de notre pays sur l'échelle internationale de la corruption. Pire encore, presque tous nos partis politiques, tant au niveau des communes que celui des secrétaires généraux, ont été impliqués dans + où - la dilapidation des deniers publics etc. À quand une législature de l'anticorruption ?

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