Le chef du gouvernement a exposé non seulement le programme de son équipe, mais aussi le nouveau «projet de société» du Maroc pour le futur. Cela faisait déjà plusieurs années que ce projet mûrissait au fil des discours royaux. Le pays se devait de combler ses retards en matière sociale, de santé et d’enseignement. Mission a été confiée à une commission spéciale pour un nouveau modèle de développement pour élaborer un cadre de réflexion stratégique susceptible d’aider l’exécutif à résorber les déficits en matière de développement humain. L’épidémie de Covid-19, qui a certes été gérée de manière convenable, a cependant confirmé le niveau élevé de ces déficits.
Construit autour de la satisfaction des besoins fondamentaux de l’homme, le projet de société en question propose de revoir les missions de l’Etat, d’un Etat gestionnaire à un Etat social, de donner comme priorité à l’économie la création d’emplois et d’améliorer la gouvernance.
L’exécution de ce programme, ainsi en a décidé l’électeur, va être portée par une coalition de trois partis d’inspiration centriste libérale. Or il ne faut pas être diplômé de sciences politiques pour comprendre que le projet de société en question s’inspire largement des idéaux de la gauche humaniste, lointains des options néolibérales.
La gauche parlementaire se retrouve bien dans l’embarras dans cette situation. Ecartée de la coalition, elle assiste au scénario douloureux où l’essentiel de ses idées va être mis en exécution par autres. Est-elle en droit de se sentir lésée?
Les différents programmes portés par la gauche parlementaire au Maroc, dans son histoire, n’ont pas revêtu le caractère de «projet de société» complet, le volet politique l’emportant souvent sur les aspects économiques, sociaux et culturels. Alors qu'aujourd'hui, l’offre contenue dans le programme de gouvernement est plus construite.
Face à cette situation, inédite, où la gauche serait appelée à s’opposer à ses idéaux que son l'Etat social, la création d’emplois, la nouvelle gouvernance, quelle attitude peut-elle adopter et quels sont les moyens dont elle dispose?
Deux solutions s’offrent à elle.
- L’accompagnement des politiques gouvernementales en vue d’activer l’adoption des propositions de lois en faveur des couches défavorisées, la proposition de mesures complémentaires à celles du gouvernement, la transmission des préoccupations des populations dans la précarité.
- Ayant été exclue du pouvoir, la gauche pourrait également s’atteler à préparer un programme alternatif, non pas d’accommodement, mais de conquête, que ce soit au niveau local, régional et national.
Les deux options ne sont pas simples, car elles requièrent la mise en place d’un certain nombre de moyens.
La stratégie d’accompagnement exige des élus qui sont dans la proposition, donc formés, ou à défaut un encadrement partisan de qualité baigné dans la gestion des dossiers. Car il s’agit d’amener un plus à une équipe gouvernementale familière de ces dossiers.
Il y a un risque que cette démarche soit contreproductive électoralement.
La stratégie de conquête ou d’opposition est plus laborieuse dans le cas actuel, elle suppose la capacité de proposer un programme alternatif avec ses nouvelles mesures et son financement. La disponibilité de cadres élus aux niveaux local, régional et national pouvant porter haut la voix de la gauche. Il fau également pouvoir compter sur les relais dans la société civile, la capacité de mobilisation parmi la population et un appareil partisan fourni en cadres politiques. Choses qui manquent cruellement à la gauche actuelle.
Enfin, n’oublions pas qu’avec moins de 60 députés et 2 groupes, la marge de manœuvre de la gauche est faible au Parlement: temps de parole limité, nombre de députés ne permettant pas d’introduire une motion de censure.
Quelle que soit la stratégie que va adopter la gauche, accompagnement, conquête, ou attitude plus sélective en fonction des projets proposé,; elle présente une image affaiblie intellectuellement et dans ses appareils. Beaucoup de créativité et d’efforts doivent être déployés pour présenter une alternative crédible.