En exposant les contours de la future réforme du système de santé devant la Chambre des représentants, le Chef du gouvernement avait nécessairement présent à l’esprit qu’il traitait là l'un des dossiers les plus importants et complexes de son mandat. Non pas à défaut de soutien politique. De ce côté, aucune crainte. La santé du citoyen est une des préoccupations majeures du Roi Mohammed VI. La CSNMD, elle aussi, a abordé la question en insistant sur la nécessité de la mise en place d’un système de santé performant, accessible et de qualité. C’est pour elle «un devoir fondamental de l’Etat». L’ensemble des partis politiques, y compris ceux de l’opposition, ne peuvent que souscrire au principe d’une réforme.
Alors d’où vient la complexité du dossier?
On jauge la qualité d’un produit à travers son aptitude à répondre au besoin du consommateur. Or les choix de ce consommateur révèlent une préférence nette pour le secteur de santé privé et un jugement sévère sur la qualité des prestations du service public. Quand il le peut, le patient au Maroc s’adresse d’abord au secteur de santé privé pour se soigner. Quelques indicateurs: 90% de moyens financiers mobilisés par l’AMO vont au secteur privé, le reste va au secteur public; les personnes ayant adhéré au régime de protection social mis en place dernièrement et qui cotisent ne constituent que 5 à 10% des inscrits, en fonction des secteurs, le reste ne le fait pas parce qu’il doute de la capacité du secteur public à offrir un soin de qualité, ou un soin tout court; le patient au Maroc qui est le principal contributeur à la Dépense Totale de Santé (autour de 50%, selon les sources), plus que l’Etat et les autres organismes, préfère «s’appauvrir» et s’adresser au secteur privé en priorité.
Cette «crise de confiance» entre le secteur public de santé et le patient est-elle justifiée?
Le management de la santé est riche d’indicateurs qui écartent les jugements subjectifs. Et là, quand on fait appel à eux, on se rend compte que le Maroc, dans plusieurs domaines, accuse des retards certains. Il n’est pas dans les 100 premiers pays en termes de performance: santé de la population, résultats sanitaires obtenus après traitement, la qualité clinique et caractère approprié des soins, la réponse des systèmes de santé aux attentes de la population… Il ne l’est pas non plus en termes d’équité sanitaire: les ressources permettant de promouvoir la santé des individus ne sont pas distribuées de manière équitable et ajustées aux besoins de chacun. La productivité du personnel est faible, la prise ne charge lente et les centres de soins éloignés (accès). Bref, il faut reconnaître qu’il y a des problèmes qui, cumulés, justifient le jugement critique de la population.
Le programme présenté par le Chef du gouvernement devant les parlementaires n’a pas traité l’ensemble des points rappelés ci-dessus, il s'est focalisé sur la réduction des inégalités spatiales, pour faciliter l’accès, en s’engageant sur la construction d’un CHU par région (soit 12 CHU), «de pôles de santé régionaux et provinciaux ainsi que des centres hospitaliers de proximité». La pénurie en personnel médical préoccupe au plus haut point le Chef du gouvernement, des mesures ont été annoncées pour multiplier les lauréats et augmenter les salaires dans le secteur public, sans que le lien avec la productivité ne soit évoqué pour l’instant. C’est un début, un bon début.
Il y a lieu d’être optimiste. Le RNI, parti du Chef du gouvernement, avait, bien avant la constitution de ce gouvernement, manifesté son souhait de prendre en charge le département de la santé, convaincu d’avoir cumulé les compétences pour traduire en plans d’action le projet royal d’extension de l’assurance maladie et de la protection sociale à l’ensemble de la population. La ministre pressentie ayant finalement préféré rejoindre la Mairie de Casablanca, Aziz Akhannouch suit aujourd'hui le dossier de près.
Les moyens financiers et de bonne gouvernance à mobiliser pour mettre à niveau le système de santé, préalable à la viabilité de la protection sociale comme déjà souligné, sont importants au vu des déficits existants. L’implication de l’ensemble du gouvernement, des élus et syndicats n’est pas de trop pour réussir cette réforme d’intérêt national.
Le Maroc, qui a fait preuve de capacités organisationnelles et opérationnelles surprenantes lors de la crise Covid-19, et qui poursuit son projet de souveraineté sanitaire, avec l’usine de vaccins qui est arrivée à ben Slimane en un temps record, prélude à la constitution d’un écosystème de santé, est capable, n’en doutons pas, de relever le défi et d'assurer un service de santé et une protection sociale convenables à sa population.