L’un des meilleurs couscous que j’aie jamais dégusté à Amsterdam fut servi, il y a quelques années, dans la grande maison de Khadija Arib, dans un quartier paisible et verdoyant. Il y avait là sa fille Sabra (elle lui a donné ce prénom en référence au camp palestinien martyr) et ses deux fils, son beau-frère archéologue, ainsi que quelques amis. Ce fut une très belle soirée, où le néerlandais et la darija marocaine se mêlèrent sans complexe. Des sujets sérieux furent abordés mais aussi des moins sérieux. Il y eut même des moments de franc fou rire quand l’un des convives racontait une blague. La maîtresse de maison, qui avait elle-même, de ses blanches mains, préparé le couscous, n’était pas la dernière à raconter des noukat, certaines assez salées. Tout ceci pour dire que Khadija n’a jamais renié ses origines marocaines même si elle fait figure aujourd’hui de parangon d’une intégration parfaitement réussie.
Sur ce dernier point, il est vrai que le résultat est impressionnant. Arrivée à quinze ans aux Pays-Bas (au même âge que Ahmed Aboutaleb, le maire de Rotterdam), dans le cadre du regroupement familial, Khadija ne parlaît pas un traître mot de néerlandais. Quelques années plus tard, elle est étudiante en sociologie à l’université d’Amsterdam…. Mais ça ne s’arrête pas là. Dès la fin de ses études, elle s’engage dans la vie politique en créant un mouvement de soutien aux femmes immigrées, ce qui lui vaudra d’ailleurs de passer quelques heures dans un poste de police… marocain, en 1989, pour avoir essayé d’enquêter sur la condition féminine dans le pays de son enfance. Pas rancunière, elle fera partie, deux décennies plus tard, du Conseil Consultatif des Droits de l’Homme qui siège à Rabat.
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Mais c’est la politique néerlandaise qui l’attire vraiment. Et c’est là qu’elle donne sa pleine mesure. Membre du parti socialiste PVDA (comme Aboutaleb), elle est élue au Parlement en 1998. Elle devient rapidement l’un des élus les plus en vue. Les sondages la désignent comme la parlementaire la plus appréciée des femmes, toutes origines confondues. Mais elle s’intéresse à tous les sujets (avec une prédilection pour la santé publique), participe à tous les débats et se bat pour les droits des minorités ethniques et sexuelles. L’extrême-droite s’attaque à elle en dénonçant sa double nationalité. Peine perdue : l’immense majorité des Néerlandais l’admirent ou la respectent.
Il y a une semaine, c’est l’apothéose: le 13 janvier 2016, elle est élue présidente de la chambre des députés. Les journaux titrent, ébahis, qu’il s’agit, dans la longue histoire de la démocratie néerlandaise, du « premier président arabe et musulman » du Parlement de La Haye. Qualifications pour le moins hâtives, pour qui connaît intimement Khadija. Pour elle, la religion est une question privée et les origines ethniques sans conséquence : elle voit dans ses interlocuteurs des individus, pas les représentants d’une ethnie ou d’une religion. Elle souhaite être perçue de la même façon. C’est ce que nous faisons ici en concluant tout simplement : « Bravo, Khadija ! »