Kabylie indépendante: quand Alger découvre que l’autodétermination ne s’exporte pas sans retour

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le chef de l'armée, Saïd Chengriha.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le chef de l'armée, Saïd Chengriha.

Moins de vingt-quatre heures après la proclamation de l’indépendance de la République fédérale de Kabylie, la diplomatie algérienne s’est astreinte à la publication d’une «clarification» constitutionnelle aussi précipitée qu’édifiante. Sous couvert de droit international et de solidarité avec les peuples, le régime d’Alger a surtout livré un aveu. En Algérie, l’autodétermination est un principe à géométrie variable, strictement réservé aux causes extérieures, et toujours pensé à l’aune d’une obsession marocaine devenue boussole politique, et même constitutionnelle.

Le 15/12/2025 à 18h21

C’est finalement l’arroseur arrosé. Et rarement l’expression n’aura été aussi littérale. Moins de vingt-quatre heures après la proclamation solennelle de l’indépendance de la République fédérale de Kabylie, le ministère algérien des Affaires étrangères, dans un réflexe pavlovien devenu une marque de fabrique, s’est cru obligé de clarifier une évidence. Comprendre: expliquer au monde que ce qui vaut pour les autres ne vaudra jamais pour l’Algérie. Faites ce que je dis, surtout pas ce que je fais.

Officiellement, il s’agit de préciser que l’article 32 de la Constitution algérienne, celui qui proclame la solidarité de l’Algérie avec «tous les peuples qui luttent pour le droit à l’autodétermination», ne s’applique surtout pas aux Algériens eux-mêmes. Faisant sienne ce qu’elle dit être une position du Parlement algérien, la diplomatie voisine affirme sans trembler que cette solidarité est «spécifiquement et fondamentalement orientée» vers «le soutien du droit du peuple sahraoui à l’autodétermination» et qu’elle «ne s’applique en aucun cas à la situation intérieure algérienne».

Le communiqué de la diplomatie algérienne.

Autrement dit, l’autodétermination, oui, mais à l’export. À usage externe exclusivement. Interdite de séjour à l’intérieur des frontières nationales. Une conception de principe universel à géométrie variable, qui ferait rougir les manuels de droit constitutionnel. Le communiqué est surtout un aveu de peur panique. Un texte précipité, brouillon, truffé de justifications qui sonnent faux, et surtout imbibé jusqu’à la lie d’une haine obsessionnelle du Maroc.

Il suffit de parcourir le document pour constater que le mot «Maroc» y est invoqué comme une incantation: «territoires occupés par le Royaume du Maroc », « occupation marocaine du Sahara occidental», «lutte contre l’occupation marocaine». Le Maroc est cité, récité, martelé comme si Alger avait besoin de se rassurer en pointant sans cesse son voisin pour ne pas regarder la fissure qui s’ouvre sous ses propres pieds.

Plus étrange encore, depuis quand un ministère des Affaires étrangères s’approprie-t-il et diffuse-t-il une position parlementaire comme s’il s’agissait d’un télégramme diplomatique? Dans quel pays cela existe-t-il? Dans quelle démocratie voit-on la diplomatie relayer, commenter et verrouiller l’interprétation de la Constitution à la place des juristes, des institutions ou du débat public? Ce glissement est révélateur. Le régime algérien ne gouverne plus, il colmate. Il ne réfléchit plus, il réagit. Et surtout, il ne sait plus à qui revient la parole tant la panique brouille les rôles.

La haine du Maroc comme Constitution

Ce texte abracadabrant trahit surtout l’errance d’un régime pris de court par un événement qu’il croyait impossible: la proclamation effective, publique, internationale de l’indépendance de la Kabylie. Malgré les pressions, les interdictions, les manœuvres en coulisses et les tentatives de torpillage, la cérémonie a bien eu lieu dimanche 14 décembre 2025 à Paris.

Le MAK a, de ce point de vue, fait preuve d’une habileté politique redoutable. Annoncer Versailles, accepter l’interdiction préfectorale, puis déplacer l’événement au cœur de Paris, à quelques pas de l’Arc de Triomphe, et symboliquement, non loin de l’ambassade d’Algérie, relevait d’un coup d’échecs parfaitement calculé. Le régime algérien a couru derrière l’événement, sans jamais parvenir à le rattraper. On est, littéralement, dans du grand n’importe quoi diplomatique.

Mais cette «clarification» a au moins un mérite. Elle fait enfin avouer ce que le régime algérien n’a cessé de maquiller. Tout se pense, tout s’active, tout se décrète en fonction du Maroc. La politique étrangère, la rhétorique parlementaire… et désormais même l’interprétation de la Constitution.

Quand le ministère des Affaires étrangères endosse et écrit noir sur blanc que l’article 32 vise le Maroc, il reconnaît implicitement que la boussole idéologique du régime ne pointe ni vers les principes, ni vers les peuples, mais vers une obsession. Une obsession si envahissante qu’elle dicte jusqu’au sens des mots constitutionnels.

La proclamation unilatérale de l’indépendance de la Kabylie constitue un acte politique sans précédent dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Elle marque la fin d’une ambiguïté et l’entrée dans une phase d’internationalisation assumée. Il y aura un après-14 décembre, que le régime le veuille ou non. La peur panique du régime est à lire sous cet angle. Mais plus Alger s’agite dans des communiqués défensifs, plus il révèle sa fébrilité. En voulant éteindre l’incendie kabyle avec la vieille rhétorique anti-marocaine, la diplomatie algérienne n’a fait qu’une chose: confirmer qu’elle est désormais prisonnière de ses propres contradictions.

Par Tarik Qattab
Le 15/12/2025 à 18h21