Depuis sa désignation, le 10 octobre dernier, par le roi Mohammed VI pour former le prochain gouvernement, Abdelilah Benkirane n’arrive pas à composer une coalition. Le Chef du gouvernement désigné est confronté à une équation compliquée: en même temps qu'il tient à la présence de l'Istiqlal, il veut former une coalition avec le RNI. Or, le parti de la Colombe ne veut pas entrer au gouvernement avec l'Istiqlal. Et les critiques acerbes dont a fait l'objet son SG, Aziz Akhannouch, de la part de la presse de l'Istiqlal n'ont fait qu'exacerber les différends. De telle sorte que le gap semble se creuser davantage entre le SG du PJD et le RNI.
Donc, deux mois après la désignation de Benkirane, le Maroc est toujours sans (réel) gouvernement. Est-ce que le Maroc peut se passer très longtemps d'un gouvernement? Quelles sont les répercussions de ce blocage sur le pays, ses institutions et les citoyens?
Le Parlement à l’arrêt
En tout, ils sont 515 parlementaires (des deux chambres) à se tourner les pouces.
La chambre des représentants ne dispose toujours pas de président, de bureau ou de commissions lui permettant de s’acquitter de ses missions de législation et de contrôle de l’action gouvernementale.
La chambre des Conseillers, restructurée suite aux élections régionales et locales du 4 septembre 2015, est également à l’arrêt faute d’interlocuteurs et de «matière première», les projets de textes de loi ou le travail en commissions nécessitant la présence des ministres.
Le président PAMiste Hakim Benchemmas a essayé de réactiver la machine en demandant aux ministres sortants d’assister aux séances des questions orales. Mais Abdelilah Benkirane a opposé un niet catégorique. En somme, il a répondu que son gouvernement étant chargé de liquider les affaires courantes, rien ne l’oblige à se présenter devant cette deuxième chambre. Les arguments du chef du gouvernement désigné sont corroborés par les blancs du texte de la Constitution qui ne l'oblige pas à répondre à la requête de Benchemas.
Le PLF2017 passerait-il à la trappe?
L’autre question qui taraude certains milieux d’affaires, mais aussi les salariés, est le sort qui sera réservé au projet de loi des Finances pour 2017. Ce texte a été déposé au Parlement et dans les délais par les services de Mohammed Boussaid. Mais son examen n’a toujours pas commencé et il sera impossible de l’adopter avant fin 2016, sachant qu’il devrait être validé aussi par le Conseil constitutionnel et publié le 1er janvier 2017 au Bulletin officiel.
Peut-on alors faire fonctionner le pays sans loi des Finances? La réponse est oui et ce ne sont pas les parades légales et réglementaires qui manquent.
L’une des issues est l’adoption d’un décret permettant de débloquer les fonds nécessaires pour la continuité du service public et selon les dispositions du PLF2017 même non voté.
Ces fonds servent à faire fonctionner les services publics et portent généralement sur les budgets de fonctionnement, salaires en premier lieu. La même chose est valable pour la rubrique investissements même si les ministres sortants évitent généralement d’engager de gros budgets à la fin de leur mandat pour éviter toute polémique.
Sachez également qu'à la date du 1er janvier 2017, les dispositions du PLF2017 qui sont favorables aux citoyens (baisse de la TVA, baisse de l'IGR...), entreront en vigueur en attendant leur adoption ou leur amendement.
Une fois le gouvernement installé, il pourra conserver le même PLF2017 et le faire voter au Parlement dans des délais moins longs que les 58 jours réglementaires ou alors soumettre au Parlement un PLF2017 rectificatif.
De la continuité du service public
Tout cela pour dire que le service public, et surtout celui ayant directement trait aux citoyens, n'est pas menacé de perturbation notable.
Les départements ministériels continueront à fonctionner sous la direction des ministres sortants. Ceux des départements dont les ministres ont été renvoyés (pour incompatibilité, 12 au total) ont été confiés à d’autres. C’est ainsi que Aziz Akhannouch, par exemple, a hérité du ministère du Tourisme après le départ de Lahcen Haddad et que Bassima Hakkaoui a pris la place de Mustapha El Khalfi au ministère de la Communication et porte-parole du gouvernement.
Quant aux autres services et établissements publics, dirigés par des femmes et des hommes nommés en conseil des ministres ou en conseil de gouvernement, ils continueront à fonctionner de manière normale.
Notons enfin que ce n’est pas la première fois que le Maroc se trouve sans gouvernement pendant plusieurs semaines. Le gouvernement Youssoufi, issu des élections législatives de fin novembre 1997, n’a été installé qu’à la mi-mars 1998. Et, encore plus proche dans le temps, le premier gouvernement Benkirane (celui que les mauvaises langues appellent le gouvernement de Midelt) n’a été connu que le 3 janvier 2012 alors que le verdict des urnes était tombé le 25 novembre 2011.