Enseignants contractuels: les dessous d’une impasse

Lors de la marche des enseignants contractuels, le samedi 23 mars 2019 à Rabat.

Lors de la marche des enseignants contractuels, le samedi 23 mars 2019 à Rabat. . DR

La montée au créneau des enseignants contractuels cache une revendication menaçant jusqu’à l'esprit de ces recrutements. Après un week-end mouvementé, les protestataires sont revenus à la charge. La tutelle est désormais inflexible. De quoi s’agit-il? Explications.

Le 25/03/2019 à 12h46

Qu’est ce qui fait courir les enseignants contractuels? A la lumière de la véritable charge qu’ils mènent contre leur ministère de tutelle, mais aussi des larges concessions qui leur ont été accordées par le gouvernement, sans retour positif, la question mérite d’être posée.

Si ces «contractuels» revendiquent avec énergie leur assimilation à la fonction publique, c’est ouvertement pour pouvoir bénéficier des mêmes droits que les fonctionnaires de l’Education nationale. L’écart entre les deux ne concerne nullement le salaire net perçu par mois. Tous sont logés à la même enseigne, celle de l’échelle 10 de la fonction publique. Entendez un salaire de 4.900 dirhams pour les enseignants fonctionnaires et de 5.000 dirhams pour les contractuels.

Ce qui explique cette légère différence, comme (en partie) la colère des contractuels, c’est le régime de retraite. Pour les fonctionnaires, c’est la Caisse marocaine de retraite. Pour les contractuels, c’est le Régime collectif d'allocation de retraite, nettement moins avantageux que le premier.

Sur cet aspect, une source bien informée nous précise qu’il s’agit là d’un vrai-faux problème. Le système de retraite est amené à être unifié dans une seule caisse, dans un délai d’ores et déjà fixé à trois ans.

D’autant que le rattachement de ces contractuels aux Académies régionales de l’éducation et de la formation, désormais acté et présenté comme une concession de taille de la part du gouvernement, plaide pour plus de sécurité de l’emploi. Exit la qualité de «contractuel» et accès désormais à la fonction de cadre des académies régionales pour cette catégorie.

Qu’à cela ne tienne, les enseignants contractuels restent catégoriques. «Ce que nous demandons est simple: un rattachement à la fonction publique», nous affirme Zakaria Qouhafa, enseignant dans le secondaire et membre de "la coordination nationale des enseignants obligés d’accepter le système des contrats" (section de Casablanca).

Pourquoi tant d’acharnement donc, puisque les deux statuts (fonctionnaire et cadre des AREF) sont quasiment similaires? Ce que les contractuels défendent, c’est surtout, et avant tout, la perspective d’une mutation dans les grandes villes. Ce que ne permet pas le statut de cadre d’une académie régionale.

Il est important de rappeler que si le gouvernement a eu recours aux contractuels, c’est pour pallier le manque flagrant d'enseignants dans les régions, les petites villes, les campagnes et les zones enclavées. Il n’était pas rare de se retrouver avec des classes de 60 élèves dans certaines zones du Maroc. Pour réduire au moins de moitié ces effectifs, l’Etat a dû réagir en urgence quand Mohamed Hassad était ministre de l'Education nationale. D’où le recrutement massif de ces contractuels. Le but étant de fixer cette véritable armée de salariés, (50.000 à aujourd’hui), dans les établissements où il y a un manque d'enseignants.

Or, c'est le droit à la mutation qui est la principale revendication des enseignants contractuels. Et cette revendication rend caduc l’esprit même qui a présidé à leur recrutement. D’où l’intransigeance du gouvernement à céder sur ce point. 

Zakaria Qouhafa y consent: c’est cette condition qui cristallise toute la colère des enseignants contractuels aujourd’hui, même s’ils en avaient accepté les termes au départ. Mais dans un secteur hyper-syndiqué, où l’on peut prendre en otage les élèves pour faire valoir ses revendications, il semble, paraît-il, facile de changer les règles.

Les mauvaises langues voudraient aussi que ce mouvement de grève ait lieu dans l’optique que ces contractuels puissent arrondir leurs fins de mois, notamment à travers des cours de soutien, plébiscités dans les grandes villes alors que ceux-ci ne font pas recette dans les petites cités et les campagnes...

«La mutation des enseignants cadres n’est pas impossible, mais elle ne peut s’opérer que poste budgétaire contre poste budgétaire. En d’autres termes, si un enseignant cadre, qui exerce par exemple à Zagoura, souhaite se faire muter à Casablanca, il faudrait qu’il y ait un enseignant à Casablanca, présentant le même profil, qui cherche à s’établir à Zagoura. Autrement, la mutation n’est pas possible», nous confie une source au ministère de l’Education nationale.

Le plus dommageable, à première vue, c’est que l’intérêt des élèves ne figure nullement dans l’agenda des enseignants protestataires et que c’est leur avenir qui est aujourd’hui compromis. Sous couvert d’anonymat, un autre membre de la coordination précitée s’en défend. «Nous avons commencé graduellement: port de brassards, marches organisées en dehors des horaires de travail… Ce n’est que face au manque de réaction de la tutelle que nous avons haussé le ton en organisant des grèves. Et là encore, nous nous arrangeons pour rattrapper les cours même si nos salaires sont à chaque mouvement impactés», se justifie-t-il.

Une chose est cependant sûre, l’Etat n’a nullement l’intention de reculer dans le maintien de cette condition. Une source au sein de l’Education nationale nous spécifie qu’il y va non seulement du droit de tous les Marocains, où qu’ils se trouvent, à bénéficier d’un minimum d’instruction, la qualité de notre enseignement se faisant toujours attendre, mais aussi et surtout du bien-fondé même de ces recrutements, au demeurant des plus coûteux pour un contribuable lassé d’être pris ainsi en tenaille.

La nuit du samedi à dimanche a été particulièrement mouvementée devant le Parlement. Les autorités, après avoir toléré une marche et négocié pendant plus de deux heures, ont dû intervenir pour lever un campement non autorisé. Ce début de semaine encore, ils sont nombreux à annoncer de nouvelles grèves et marches. Exemple en est la branche Fès-Meknè,s de l’alliance nationale des fonctionnaires de l’enseignement (UMT), qui promet une «semaine de la colère». Une grève nationale est également observée ce lundi par les enseignants membres de ladite coordination. Et ils sont légion.

Dans une énième tentative de convaincre ses partenaires sociaux, le ministre de l'Education nationale a réuni ce lundi 25 mars 2019 les leaders des syndicats chargés du secteur de l'enseignement. Réussira-t-il cette fois?

Par Tarik Qattab
Le 25/03/2019 à 12h46