J’ai été surpris de lire une phrase dans le roman «Le Mage du Kremlin», de Giuliano Da Empoli (2002, éd. Gallimard). Une phrase que je cite de mémoire: «Les peuples aiment les dictateurs et ce sont les peuples qui les installent au pouvoir». Le narrateur vise la carrière longue et autoritaire de Vladimir Poutine. Or, on a vu cette année comment Javier Milei, un hurluberlu trumpiste complètement délirant, a été largement élu par le peuple argentin, comme avait fait il y a quelques années le peuple brésilien en portant au pouvoir Jair Bolsonaro, dont le programme prévoyait la destruction de la forêt vierge et des lois contre l’émancipation des femmes.
La démocratie est capable d’accoucher d’aberrations incontrôlables.
Revenons à la Palestine. Prononcez ce nom. Bientôt, il sera interdit de l’écrire ou de le dire. On est en train de liquider le peuple palestinien et d’éteindre sa mémoire. Cela prendra du temps, mais la machine est en marche. Rappelez-vous les Indiens d’Amérique; ils avaient été pourchassés puis exterminés par les armées américaines du Sud et du Nord. On devrait tous crier «Palestine vivra!», ce cri datant des années soixante, après la débâcle de la guerre de six jours. Elle vivra, puisqu’elle résiste depuis plus de soixante-quinze ans.
Ses morts, nombreux et indifférenciés, la porteront à la vie. Les Palestiniens ne seront pas les Indiens d’Amérique du 21ème siècle.
Pendant que les dirigeants du Hamas sont à Doha, protégés par le Qatar, la population démunie subit les bombardements de l’armée israélienne, qui ne connaît aucune limite. Certes, l’Amérique est derrière, refusant de voter un cessez-le-feu.
L’écrivaine libanaise Dominique Eddé vient de signer un article lucide et très intelligent (Le Monde du 29 décembre 2023). Elle prévient l’avenir: «Nous assistons à la mort de l’empathie, au triomphe de la censure et de l’impuissance. À la dissémination des monstres qui accouchent les uns des autres. Pas une alarme n’est de trop pour donner la mesure du danger qui pèse sur le monde. Il n’est plus d’adjectif pour qualifier l’horreur en cours à Gaza. Après les hôpitaux, les écoles, les églises, les mosquées, les journalistes (près de 70 ont été tués à ce jour, selon le Comité pour la protection des journalistes), les membres des services médicaux et des Nations unies (136 selon le secrétaire général des Nations unies), ce sont maintenant les cimetières qui sont bombardés (selon une enquête du New York Times)».
La Palestine subit depuis 1948 une sorte d’élimination programmée. Il ne s’agit plus de lui proposer un État, mais que les Palestiniens disparaissent exactement comme l’Amérique avait fait avec les Indiens. Devenir invisible, inexistant, non reconnu, sans aucun droit à l’existence. C’est cela que le gouvernement israélien a décidé et que le Hamas a déclenché. Certes, la cause palestinienne est revenue sur la scène internationale, mais à quel prix!
Le Hamas a sa logique. Il a infligé une défaite terrible à Israël, l’un des États le plus sécurisés du monde, le plus armé et le plus entraîné à repousser toute attaque, d’où qu’elle vienne.
La tragédie du 7 octobre l’a surpris et a été comparée à la destruction des Tours jumelles de New York le 9 septembre 2001.
Comparaison n’est pas raison, dit-on. On ne peut pas noyer la cause palestinienne dans un tourbillon de terreur organisé par Oussama Ben Laden et ses candidats à la mort.
En Palestine, nous sommes dans un territoire dont une large partie est occupée par des colons qui expulsent de leurs maisons des Palestiniens légalement installés. Et s’ils résistent, les colons les tuent.
Plus loin, à Gaza, une population estimée à plus de deux millions de personnes vit sous embargo, contrôlée dans le moindre de ses déplacements, soupçonnée de terrorisme alors qu’elle résiste, et dirigée par un parti politique, dont l’idéologie est celle des Frères musulmans, démocratiquement désigné par les habitants de Gaza pour les représenter.
Les représailles israéliennes vont au-delà de la simple punition d’avoir attaqué et massacré une population juive. Les représailles se sont transformées en nettoyage ethnique, en élimination physique de tout Palestinien. Vingt mille morts! Non, ça ne suffit pas à M. Netanyahou. Il veut aller jusqu’au bout. Et le bout pour lui, c’est l’extermination de tous les Palestiniens de Gaza. Il les poursuivrait jusqu’à assouvir sa soif de destruction d’un peuple.
Telle est la vérité sur ce qui se passe sous nos yeux, quotidiennement, depuis plus de deux mois. Et on le laisse faire. Jusqu’au bout.
Le Maroc est meurtri par cette catastrophe. Il a manifesté, il a dit son horreur de cette injustice. Il n’est pas le seul à être horrifié. Pour la première fois, les grandes universités américaines se sont engagées pour défendre la cause palestinienne. Certains médias français les soupçonnent d’antisémitisme. Comme ils l’ont fait avec l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin qui a dénoncé la barbarie des bombardements décidés par Netanyahou. Ce chantage au racisme est insupportable.