L’émergence a été soudaine: la diffusion de l’intelligence artificielle (IA) générative marque bien une révolution technologique incontournable. L’on ne peut que constater ces faits: la simplicité d’utilisation de certains outils, la rapidité de la génération du contenu, comme le réalisme des textes, des images et des sons générés. Plus généralement, s’imposent de plus en plus les aptitudes des récents modèles d’IA. Tous les domaines d’activité sont affectés: l’économie, l’emploi, les services publics, l’environnement, l’information, le secteur culturel, etc. De même, tous les pans de la société sont concernés, et le seront davantage à l’avenir, tant son potentiel est considérable.
Les États-Unis et la Chine ont fait de la maîtrise de l’IA l’un des piliers de leur stratégie de puissance. Le Maroc ne saurait ignorer ni minorer cette révolution: tant s’en faut. Une perspective stratégique doit être élaborée et mise en œuvre. Avec un plan d’action ambitieux, réaliste, au service des personnes, des besoins et des valeurs qui sont les siennes.
S’impose ici, assurément, ce principe de responsabilité: l’innovation au service d’un projet de société. Comme d’autres dans le monde, la société marocaine est mise au défi par la diffusion des technologies numériques. Les réseaux sociaux ébranlent le déroulé de la vie politique. La concentration technologique polarise la répartition des richesses. Les algorithmes contribuent aux inégalités de travail et d’emploi. L’IA prolonge et approfondit ce mouvement. Il importe donc de s’engager davantage dans l’innovation technologique. Dans cette ligne, il s’agit de tirer parti de l’IA en l’installant à sa juste place: celle d’un moyen technologique au service d’une ambition d’humanité, d’égalité, de solidarité, de justice, de prospérité et de liberté.
L’objectif d’humanisme a trait à plus de participation et de pouvoir aux citoyens et aux travailleurs. Trois piliers principaux sont à identifier à cet égard: la formation, le dialogue social et le service public. L’IA devrait augmenter la création de richesse et partant la prospérité collective. Elle peut ainsi contribuer à l’amélioration de la qualité du travail et à la réduction des inégalités. L’IA paraît accélérer l’innovation. Et en plus d’un effet temporaire lié à l’automatisation, elle pourrait produire, à plus long terme, un effet lié à l’émergence de nouvelles innovations, de nouveaux produits, de nouvelles formes d’organisation, etc.
«Un débat récurrent porte sur cette question: l’IA est-elle créatrice ou destructrice d’emplois? Des études récentes montrent que dans 19 emplois sur 20, il existe des tâches que cette technologie ne peut pas accomplir.»
Un débat récurrent porte sur cette question: l’IA est-elle créatrice ou destructrice d’emplois? Des études récentes montrent que dans 19 emplois sur 20, il existe des tâches que cette technologie ne peut pas accomplir. Les emplois directement remplaçables par l’IA ne représenteraient donc que 5% des emplois. La diffusion de l’IA va créer des emplois, dans de nouveaux métiers, mais aussi dans d’anciens métiers. Elle permet en particulier l’automatisation des tâches, moteur essentiel de la croissance économique. Elle déplace certaines tâches du travail humain vers les machines: c’est l’effet d’éviction. Mais d’un autre côté, elle augmente la productivité des individus. Avec cet effet, une augmentation du rapport qualité/prix des produits proposés aux consommateurs et donc une demande plus élevée. In fine, davantage d’embauches et la création de nouvelles tâches: c’est l’effet de productivité.
Autre interrogation: l’IA va-t-elle dégrader ou améliorer la qualité de vie au travail? Les éléments d’enquête témoignent de ce fait: l’IA peut augmenter la qualité de vie au travail, y compris pour des travailleurs de la classe moyenne. Certains utilisateurs se déclarent plus épanouis et plus performants en se débarrassant de tâches routinières. Cependant, des risques existent: surveillance, discrimination, intensification du stress, etc. Pour ce qui est du contenu du travail, il est certain qu’à terme, la majorité des métiers va évoluer, la plupart des tâches seront transformées, d’autres seront supprimées, et de nouvelles tâches apparaîtront. Pour ce qui des conditions de travail (organisation de travail, pratiques managériales, relations de travail, rémunération, santé, sécurité…), il fait peu de doute que le déploiement de l’IA conduira à l’émergence de nouvelles formes d’organisation et de coordination, comme ce fut le cas avec les révolutions technologiques précédentes.
Dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail, les avancées de l’IA ouvrent des perspectives intéressantes en épidémiologie et en accidentologie. À noter encore des possibilités nouvelles de supervision d’un environnement de travail, d’un chantier ou d’un site industriel par exemple, notamment par la maintenance prédictive. En sens inverse, un mauvais usage des outils d’IA peut exacerber les risques professionnels et psychosociaux. Le «management algorithmique» par trop développé présente le risque d’une perte d’autonomie au travail: subordination déshumanisante à la machine, surveillance excessive des travailleurs, isolement des travailleurs et perte du sens du collectif. Reste une inconnue de taille: l’impact de l’IA sur les salaires. Les technologies ne font pas que transformer les métiers, elles modifient également les pouvoirs de négociation et la valeur de certaines expertises.
L’IA est là, elle va se développer. Il faut être proactif, définir une vision déclinée autour d’une feuille de route et d’objectifs. Le peut-on ? Oui, pour peu qu’une forte dose de volontarisme s’impose…
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