La colère gronde de plus belle entre Neila Tazi et le groupe CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc) à la chambre des conseillers dont elle était la représentante. Tout a commencé par une lettre sous forme de brûlot de Neila Tazi contre le président du groupe, à savoir Abdelilah Hifdi, à qui elle reproche d’avoir imposé Abdelhamid Souiri en tant que représentant de la confédération au bureau de la Chambre à son propre détriment.
Nous sommes le 16 octobre, soit le lendemain de l’élection de Souiri, organisée dans la foulée de l’élection du président de la Chambre des conseillers et ayant abouti à la reconduction de Hakim Benchemas.
Dans sa lettre, Neila Tazi accuse Abdelilah Hifdi d’avoir comploté dans les coulisses pour l’éjecter de sa fonction alors qu’il y avait accord préalable pour sa reconduction, au nom de la défense de la représentativité des femmes dans l’hémicycle. «Nous avons choisi notre représentant en toute liberté et sans subir une quelconque pression du président», rétorque Youssef Mouhyi, conseiller membre du groupe.
Depuis, c’est à une guerre sans merci, digne des épisodes haletants de Game of Thrones, que se livrent les deux «camps», chacun accusant l’autre de défendre non seulement ses propres intérêts, mais aussi ceux d’une partie du patronat qu’il «représente». C'est à coups de messages sur WhatsApp, de communiqués, de lettres et par médias interposés, que chaque partie y va de ses arguments.
Dernier épisode de cette série, un communiqué, sous forme de mise au point, rendu public ce mardi 23 octobre, et dans lequel le groupe CGEM s’insurge contre la démarche de Neila Tazi et prend fait et cause pour l’élection d’Abdelhamid Souiri et, par ricochet, s'engage en faveur de Abdelilah Hifdi.
Il y a d’abord une considération de fond. «Le renouvellement des instances de la Chambre des Conseillers à mi-mandat induit des élections qui concernent le Président de la Chambre, les membres de son bureau ainsi que les présidents des six commissions permanentes», rappelle le groupe. Et de préciser que comme toutes les instances politiques et syndicales présentes à la chambre des Conseillers, le groupe CGEM a été appelé à désigner son représentant.
Un principe auquel Neila Tazi, contactée par Le360, répond en insistant sur le fait qu’il n’y a toujours pas de règle en la matière, s’agissant du groupe de la CGEM. Elle affirme ainsi que «selon les groupes présents à la chambre des Conseillers, il y a ou l’élection ou le consensus. Jusque-là, nous avons toujours opté pour le consensus. Figurez-vous que notre groupe n’a toujours pas de règlement interne. De là à parler de logique démocratique…».
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Et Neila Tazi d’ajouter qu’un «accord» conclu en juillet dernier au sein du groupe concluait que le président et son représentant seraient maintenus dans leurs fonctions respectives. «Si on doit parler de logique démocratique, pourquoi ne remet-on pas en question le poste de président?», s’interroge-t-elle.
Il y a aussi des considérations de forme. Dans son communiqué, le groupe CGEM affirme que la réunion pour la désignation de son nouveau représentant a eu lieu en présence de tous les membres, au nombre de sept, et a abouti à la volonté d’autres membres du Groupe, autres que Neila Tazi, de présenter leurs candidatures pour ce poste. «Un appel au vote démocratique a donc été engagé et qui a conclu à la désignation par tous les membres, sauf Mme Tazi qui a préféré quitter la réunion, de M. Abdelhamid Souiri en tant que représentant du Groupe CGEM au sein du bureau de la Chambre des Conseillers», indique le groupe. Cette décision a été entérinée par les 6 membres votants présents et fait l’objet d’un procès verbal. «Le processus démocratique ayant été respecté, la décision a été transmise au Président de la Chambre des Conseillers», ajoute-t-on.
Neila Tazi oppose à ce récit le fait qu’elle a justement quitté les délibérations et qu’à aucun moment, son point de vue n’a figuré dans le procès-verbal. «Le PV devait relater les minutes de cette réunion, notamment lorsque j’ai contesté le délai très court dans lequel elle a été convoquée, quand j’ai demandé son report et le moment où j’en suis partie tout simplement parce que j'avais un engagement très important à Casablanca», nous informe-t-elle.
«Je demandais à ce qu’on prenne un ou deux jours pour en discuter davantage. Mais face à l’esprit de précipitation qui a présidé à cette réunion, et le débat devenant houleux contrairement à ce que certains prétendent, j’ai préféré me retirer. Aujourd’hui, on m’impose une logique de fait accompli. Mieux, on me fait dire ce que je n’ai jamais dit», explique Neila Tazi.
S’exprimant au micro de l’émission «l’info en face», animée par Rachid Hallaouy sur Matin TV, Zakaria Fahim, président de la Commission TPE-PME, GE-PME et Auto-entrepreneur à la CGEM, a en effet affirmé que Neila Tazi avait confié vouloir quitter sa fonction et passer à autre chose.
«C’est un énorme mensonge. Je n’ai jamais dit ça», affirme Neila Tazi.
Dans le fond comme dans la forme, la polémique est loin d’être finie. «Mme Tazi aurait préféré être désignée d’office, prétextant son statut de femme et mettant en garde contre toute modification de fonction la concernant», écrit le groupe.
«Je n’ai jamais demandé à être désignée représentante du groupe, et encore moins vice-présidente de la Chambre des conseillers. Cela a été la volonté de l’ancienne présidente de la CGEM, Miriem Bensalah-Chaqroun, qui défendait la place des femmes au sein des institutions et le principe constitutionnel de la parité. Et si j’ai accepté et continué, c’est pour poursuivre ce travail», rétorque l’intéressée, qui s’avoue «troublée» par la tournure prise par les évènements.
Après les déclarations incendiaires, le temps est aujourd'hui aux menaces. «Je me réserve le droit d’entreprendre toutes les démarches pour contester une telle situation», affirme Neila Tazi. «Compte tenu des agissements inacceptables de Mme Tazi, nous, membres du Groupe CGEM à la Chambre des Conseillers, avons décidé de transmettre un rapport complet et détaillé à M. le Président de la Chambre des Conseillers ainsi qu’à M. le Président de la CGEM, afin que des rappels à l’ordre soient adressés à Mme Neila Tazi. Si notre démarche n’aboutit pas, nous nous réserverons le droit d’engager toute action permettant de rétablir les droits de chacun», annonce, pour sa part, le groupe CGEM. L’une comme les autres en appellent à l’arbitrage du président de la Deuxième chambre et de celui de la CGEM.
En attendant, une chose est quasi-sûre: les chances de Neila Tazi pour renverser la vapeur sont désormais bien minces. Une source bien informée au sein de la Chambre des conseillers, au demeurant proche de son président Hakim Benchemas, nous affirme qu’aucun recours juridique contre la désignation de son remplaçant n’est possible.
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«L’article 47 de notre règlement intérieur stipule que les représentants des groupes au niveau du bureau de la chambre sont choisis par les groupes et leur nombre varie selon le poids de telle ou telle formation. Benchemas n’a en l’occurrence aucune compétence pour agir sur leur choix», nous explique cette source.
Si, du côté de la CGEM, Salaheddine Mezouar, son président, ne s’est toujours pas prononcé, une source ayant pris part à cette réunion décriée nous certifie que le président de la CGEM aurait encouragé la désignation d’un nouveau représentant, par vote.
Une question reste toutefois en suspens: à quelle fin l’éjection de Neila Tazi a-t-elle été décidée ?
«L’actuel président de la CGEM veut constituer son équipe et ne pas hériter de celle de la présidente sortante. C’est d’ailleurs tout à fait légitime qu’un président s’entoure des hommes et des femmes en qui il a confiance. Et cela se fait partout dans le monde», affirme une source au patronat qui a souhaité garder l’anonymat. Cette même source ajoute que «Neila Tazi, de même que Fadel Agoumi (directeur exécutif de la CGEM, ndlr) sont trop "estampillés" Miriem Bensalah-Chaqroun. Mezouar ne peut pas travailler sereinement avec deux piliers de la CGEM qui sont des "obligés" de son prédécesseur». Et cette source conclut: «soutien comme protégée de Bensalah, Neila Tazi fait partie d’un passif que la nouvelle direction veut aujourd’hui mettre à l’écart».
A ce conflit de fidélité, s'ajoute le fait que l’ancienne présidente de la CGEM entretient des relations ouvertement hostiles avec son prédécesseur, Moulay Hafid Elalamy. On comprend alors que nous sommes en face d’un dossier aux racines très anciennes. «Durant le mandat de Miriem Bensalah-Chaqroun, Moulay Hafid Elaalmy, pourtant ministre d’un département au cœur des préoccupations de la CGEM, a considéré comme epsilon le patronat, rien que parce qu’il avait, à sa tête, Mme Bensalah. Et celle-ci y allait avec ses proches lieutenants en pourfendant ouvertement sa conduite et ses performances en tant que ministre». «La guerre entre Miriem Bensalah-Chaqroun et MHE n’est pas étrangère à la situation actuelle au sein de la CGEM», précise notre source. Milliardaire et associé à des poids lourds du patronat marocain, Moulay Hafid Elalamy pèse en effet en tant que gros contributeur dans les décisions de la CGEM. Sans parler de sa couleur politique, le RNI, qu’il partage avec Mezouar, l'actuel patron des patrons...
Pourtant, des sources proches de Neila Tazi nous affirment que c’est moins Mezouar en personne qu’un de ses plus proches conseillers qui tirent les ficelles de la manœuvre qui a conduit à son éviction. Enjeu principal: la fédération des industries culturelles et créatives que chapeaute Tazi et qui serait au centre de bien des convoitises. «En particulier de la part de Mustapha Mellouk», nous murmure-t-on.
Avec une Neila Tazi affaiblie, c’est, de facto, une place qui se libère. D’autant que son départ en tant que représentante de la CGEM (même si elle reste conseillère jusqu'à 2021) signifierait également son retrait de la vice-présidence de la chambre des Conseillers. «En dehors des avantages et indemnités propres à ce titre, à savoir une luxueuse voiture de fonction et des indemnités pouvant s’élever à 21.000 dirhams par mois, en plus du salaire de conseiller, la vice-présidence, c’est surtout la possibilité d’influer sur nombre de sujets», nous explique une source parlementaire.
La CGEM n’a-t-elle justement pas son mot sur la question? «A titre personnel, je déplore que tout le symbole que porte Neila Tazi en tant que femme, chef d’entreprise et conseillère soit effacé. C’est une erreur que de ne pas la soutenir pour qu’elle garde son poste», commente Aziz Qadiri, président de la commission Genre et égalité des chances au sein de la CGEM.
Pour lui, la CGEM au sein de la chambre des Conseillers est une nouvelle donne et ce cafouillage s’explique justement par la jeunesse de son expérience sur ce registre. «Autant nous avons pu agir sur des dossiers au sein de cette chambre, autant nous comprenons aujourd’hui les réserves émises lorsque la question de notre participation a été émise. Face à la logique entrepreunariale que nous défendons, il subsiste encore des mauvais réflexes et des réactions pour le moins politiciennes », ajoute Qadiri, désarmé.
«Ce qui est honteux, c’est d’orchestrer tout un tapage et un incontrôlable déchaînement pour un poste de vice-président, puisque c’est bien de cela dont il s’agit, au risque de porter atteinte et à la Chambre et à la CGEM», conclut pour sa part le conseiller membre du groupe, Youssef Mouhyi.