La «légitimité» du «Système» algérien repose sur sa propre version de la Guerre d’indépendance. L’ONM (Organisation nationale des Moudjahidine), principal vecteur de cette histoire fabriquée, a pour mission de cautionner, populariser et ancrer cette dernière. C’est sur ses postulats que prospèrent les dirigeants algériens arrimés sur le mythe d’un peuple unanimement dressé contre le colonisateur, à l’exception d’une minorité de «collaborateurs». D’où l’inflation du nombre des anciens moudjahidine.
Une inflation rendue possible par les «facilités» administratives permettant d’être reconnu parmi les moudjahidine. Il suffit en effet à l’impétrant que deux témoins attestent de ses «faits guerriers» pour qu’il reçoive l’Attestation communale d’ancien combattant. Ce document lui permet ensuite de faire valider cette qualité par la généreuse commission de reconnaissance. «Généreuse» en effet, comme l’a montré l’emblématique «affaire Mellouk», du nom du juge Ben Youcef Mellouk, qui a dénoncé 312 de ses confrères ayant reconnu, contre rétribution, la qualité de moudjahidine à un nombre considérable de faux demandeurs. Pourchassé par les associations, exclu de la magistrature, Ben Youcef Mellouk fut condamné à la prison, car il avait osé toucher au cœur même du «Système» algérien et de sa clientèle.
Les vrais maquisards, ceux de l’intérieur, ceux qui ont effectivement lutté contre l’armée française, sont indignés par ces pratiques. Non contents de s’être fait voler l’indépendance par l’ALN, l’armée des frontières, quand, durant l’été 1962, le colonel Boumediene et son allié du moment Ahmed Ben Bella ont fait leur coup d’État contre le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), voilà qu’ils doivent supporter d’être assimilés aux imposteurs prébendiers porteurs, tout comme eux, de la carte de moudjahidine.
Voilà pourquoi, en 2003, plusieurs authentiques anciens combattants issus de toute l’Algérie ont adressé un mémorandum à la présidence de la République afin que soit diligentée une enquête concernant le scandale des faux moudjahidine. Selon eux, l’ONM comptait en effet à l’époque 80% de faux maquisards… dont le ministre des Moudjahidine lui-même! (Liberté-Algérie 28/10/2003). Selon le colonel Ahmed Bencherif, ancien patron de la Gendarmerie nationale algérienne et président de l’Association de lutte contre les faux moudjahidine, 750 millions de dinars étaient à l’époque versés chaque mois à de faux moudjahidine.
Selon le quotidien El Watan, dans son édition du 10 février 2007, sur une population de 70.000 personnes, la seule ville d’Aïn Defla (ancienne Duperré) comptait 14.000 faux moudjahidine, dont 1.300 femmes… Quant à Koléa, dans la Mitidja, 2/3 de ses moudjahidine étaient des imposteurs (Libération, 27 octobre 2004).
Résultat, comme l’a déclaré Abid Mustapha, ancien colonel de la Wilaya V, au sein des instances dirigeantes de l’ONM: «Nous (les vrais combattants), sommes devenus une minorité! Ceux qui occupent les responsabilités au sein du Conseil national de l’ONM sont des faux».
En 2008, Noureddine Aït Hamouda, député du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), a provoqué un tumulte quand, dans l’hémicycle, il a osé dénoncer le scandale des faux moudjahidine. Et il avait la légitimité pour le faire, puisqu’il est le fils du colonel Amirouche Aït Hamouda, chef emblématique du maquis kabyle de la wilaya III tué au combat le 29 mars 1959. Si l’on en croit ce qu’écrit Saïd Sadi («Amirouche, une vie, deux morts, un testament», Paris, 2010), Amirouche aurait été donné aux Français par le Ministère de l’armement et des liaisons générales (MALG), le service de renseignement de l’ALN. Or, ceux qui l’auraient «balancé» et leurs héritiers constituent le cœur du «Système» algérien…
Noureddine Aït Hamouda a également pulvérisé le mythe du 1,5 million de morts causés par la Guerre d’indépendance, chiffre totalement fantaisiste, mais qui permet au «Système» de justifier le nombre surréaliste des ayants droit, notamment celui des veuves et des orphelins. Or, selon lui, sur les 2 millions de porteurs de la carte de moudjahidine et d’ayants droit, les trois quarts sont des faux…
Le mythe d’un peuple unanimement dressé contre le colonisateur connaît donc de sérieuses lézardes. D’autant plus que ceux que l’histoire officielle présente comme une minorité de «collaborateurs» et de «traîtres» semblent avoir été plus nombreux que les moudjahidine…
En effet, au mois de janvier 1961, alors que le processus menant à l’indépendance de l’Algérie était clairement engagé, 307.146 Algériens servaient encore dans l’armée française, contre environ 65.000 moudjahidine, comme cela a été démontré dans ma précédente chronique.
Le chiffre de 307.146 est incontestable, car l’armée française tenait des registres précis concernant la situation exacte de chacun de ces hommes (matricule, pensions, blessures, temps de service, affectations, armes perçues, etc.), à savoir:
- 60.432 appelés pour le service militaire.
- 27.714 engagés dans la «Régulière» (tirailleurs, spahis, parachutistes, etc.).
- 213.700 harkis, dont 63.000 directement intégrés au sein des unités combattantes.
- 700 officiers, dont 250 appelés.
- 4.600 sous-officiers.
Et à supposer que les 60.432 appelés étaient des «malgré-nous», il reste encore 240.000 volontaires, soit, dans tous les cas, au moins trois fois plus que les 65.000 vrais moudjahidine. À découvrir ces chiffres, on comprend pourquoi le «Système» algérien interdit toute remise en cause de la version de l’histoire sur laquelle repose sa «légitimité».