Les insurgés se sont emparés sans résistance en ce même dimanche de la ville de Jalalabad (est), quelques heures après avoir pris Mazar-i-Sharif, la quatrième plus grande ville afghane et le principal centre urbain du nord du pays.
"Nous nous sommes réveillés ce matin avec les drapeaux blancs des talibans partout en ville. Ils sont dans la ville. Ils sont entrés sans combattre", a déclaré à l'AFP Ahmad Wali, un habitant de Jalalabad.
En à peine dix jours, les talibans, qui avaient lancé leur offensive en mai à la faveur du début du retrait final des troupes américaines et étrangères, ont pris le contrôle de la grande majorité du pays et sont arrivés aux portes de Kaboul, désormais complètement encerclée.
Une poignée de villes mineures sont encore sous le contrôle du gouvernement. Mais elles sont dispersées et coupées de la capitale, et n'ont plus une grande valeur stratégique.
La déroute est totale pour les forces de sécurité afghanes, pourtant financées pendant 20 ans à coups de centaines de milliards de dollars par les Etats-Unis, et pour le gouvernement du président Ashraf Ghani.
Samedi, le chef de l’État avait dit faire de la "remobilisation (des) forces de sécurité et de défense" la "priorité numéro un". Mais son message, de toute évidence, n'a guère été entendu.
Celui-ci se retrouve sans autre option que de devoir choisir entre capituler et démissionner, ou poursuivre le combat pour sauver Kaboul, au risque d'être responsable d'un bain de sang.
Il avait toutefois ajouté samedi que des "consultations" étaient en cours pour trouver une "solution politique" garantissant la paix et la stabilité. Dans la soirée, le palais présidentiel a précisé qu'une délégation serait "prochainement constituée par le gouvernement et prête à négocier".
Peur et colèreFace à l'effondrement de l'armée afghane, le président américain, Joe Biden, a porté à 5.000 soldats le déploiement militaire à l'aéroport de Kaboul pour évacuer les diplomates américains et des civils afghans ayant coopéré avec les États-Unis qui craignent pour leur vie.
Le Pentagone évalue à quelque 30.000 le nombre de personnes à évacuer au total. Comme la veille, les hélicoptères américains continuaient dimanche leurs rotations incessantes entre l'aéroport et l'ambassade américaine, un gigantesque complexe situé dans la "zone verte" ultra-fortifiée, au centre de la capitale.
L'ambassade américaine a ordonné à son personnel de détruire les documents sensibles et symboles américains qui pourraient être utilisés par les talibans "à des fins de propagande".
Londres a parallèlement annoncé le redéploiement de 600 militaires pour aider les ressortissants britanniques à partir. Plusieurs pays occidentaux vont réduire au strict minimum leur présence, voire fermer provisoirement leur ambassade.
Le président américain a menacé les talibans d'une réponse "rapide et forte" en cas d'attaque qui mettrait en danger des ressortissants américains lors de l'opération d'évacuation.
Mais il a aussi défendu sa décision de mettre fin à 20 ans de guerre, la plus longue qu'ait connue l'Amérique, lancée dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, pour renverser les talibans en raison de leur de refus de livrer le chef d'Al-Qaïda, Oussama Ben Laden.
"Une année ou cinq années de plus de présence militaire américaine n'aurait fait aucune différence, quand l'armée afghane ne peut ou ne veut pas défendre son propre pays", a-t-il affirmé.
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"Je suis le quatrième président à diriger une présence militaire américaine en Afghanistan -deux Républicains, deux démocrates", a-t-il conclu. "Je ne lèguerai pas cette guerre à un cinquième."
Dans le quartier de Taimani, au centre de la capitale, les magasins étaient ouverts comme de coutume dimanche. Mais toutes les conversations portaient sur l'avancée des talibans, et la peur et l'incompréhension pouvaient se lire sur le visage des gens.
Les "valeurs islamiques""Nous apprécions le retour des talibans en Afghanistan, mais nous espérons que leur arrivée mènera à la paix et non à un bain de sang. Je me rappelle, quand j'étais enfant, très jeune, les atrocités commises par les talibans", a déclaré à l'AFP Tariq Nezami, un commerçant de 30 ans.
"J'espère juste que leur retour mène à la paix, c'est tout ce que je veux", a-t-il insisté. "Vous voyez, beaucoup d'Afghans fuient chaque jour Kaboul, ça veut dire qu'ils ont de mauvais souvenirs des talibans, ils les fuient."
Une énorme cohue était visible auprès de la plupart des banques, les gens cherchant à retirer leur argent tant qu'il était encore temps.
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Beaucoup d'Afghans, surtout dans la capitale, et les femmes en particulier, habitués à la liberté qu'ils ont connue ces 20 dernières années, craignent un retour au pouvoir des talibans.
Lorsqu'ils dirigeaient le pays, entre 1996 et 2001, ces derniers avaient imposé leur version ultra-rigoriste de la loi islamique.
Les femmes avaient interdiction de sortir sans un chaperon masculin et de travailler, et les filles d'aller à l'école. Les femmes accusées de crimes comme l'adultère étaient fouettées et lapidées.
Quasiment toute forme de divertissement était bannie. La musique était interdite, les cinémas fermés, les télévisions pendues aux lampadaires. Les voleurs avaient les mains coupées, les meurtriers étaient exécutés en public et les homosexuels tués.
Les talibans, qui veillent à afficher aujourd'hui une image plus modérée, ont maintes fois promis que s'ils revenaient au pouvoir, ils respecteraient les droits humains, en particulier ceux des femmes, en accord avec les "valeurs islamiques".
Mais dans les zones nouvellement conquises, ils ont déjà été accusés de nombreuses atrocités: meurtres de civils, décapitations, enlèvements d'adolescentes pour les marier de force, notamment.