Des carcasses de blindés exposées sur l’avenue centrale de Kiev pour la fête de l’Indépendance illustrent l’ampleur des pertes russes, mais ces épaves ne dissimulent pas pour autant les difficultés de la récente contre-offensive ukrainienne.
Après des mois à constituer des stocks d’armements occidentaux, l’armée ukrainienne a lancé en juin une vaste opération militaire dans le sud et l’est pour reconquérir ses terres occupées. Ce délai, la Russie l’a mis à profit pour constituer des lignes de défenses faites notamment de redoutables champs de mines, si bien que les avancées, en dépit de combats acharnés, sont limitées à une poignée de villages.
Des médias américains ont commencé à rapporter que Washington, moteur de l’aide militaire à l’Ukraine, se montre de plus en plus circonspect quant à la capacité de Kiev à reprendre une partie significative de son territoire.
D’autant que les pertes s’accumulent, avec 70.000 militaires ukrainiens tués en 18 mois selon les sources américaines du New York Times. Le bilan russe serait bien plus lourd, avec 120.000 morts, mais les réserves russes sont nettement plus importantes, un avantage dans la durée.
«Une émission de téléréalité»
Sur l’avenue Khrechtchatyk, à quelques jours de la fête de l’indépendance jeudi, certains badauds ne cachent pas leur agacement face à ceux qui, en Occident, réclament des succès éclairs. «Peut-être qu’à l’Ouest, il y a des gens mal informés qui pensent qu’on est dans une émission de téléréalité», s’agace Anna, 35 ans, reprenant une critique courante en Ukraine.
Les hauts responsables ukrainiens martèlent avoir toujours su que la bataille serait longue et difficile. Et que ce sont les attentes qui étaient irréalistes. Le ministre des Affaires étrangères Dmytro Kouleba a affirmé à l’AFP que la détermination du pays restait intacte, «peu importe le temps qu’il faudra» pour gagner.
Des experts relèvent que Moscou dispose toujours d’une supériorité en hommes, en équipements et en munitions. «Cette idée selon laquelle nous pouvons démanteler les défenses russes sans supériorité en puissance de feu est mal placée», juge Mykola Bielieskov, chercheur à l’Institut des études stratégiques à Kiev. «Je ne comprends pas comment certains pouvaient s’attendre à ça», poursuit-il.
Vitali, en permission à Kiev et qui comme tous les soldats ne peut donner son nom de famille, admet volontiers que l’armée, confrontée à un front de quelque mille kilomètres, était trop étirée. «Je suis d’accord, ça traîne», dit le militaire de 21 ans, «il me semble qu’on n’a pas assez d’hommes et d’équipements».
L’annonce, lors d’un déplacement du président Volodymyr Zelensky au Danemark et aux Pays-Bas, de la livraison prochaine de 61 avions de combats F-16 est à ce titre une victoire, d’autant que Kiev les réclame depuis des mois.
«Trop peu, trop tard»
Mais il est peu probable que ces appareils soient bientôt déployés sur le champ de bataille pour apporter aux troupes engagées dans la contre-offensive l’appui aérien dont elles ont besoin. Certains partisans de l’Ukraine ne cachent donc leur rancœur à l’égard des Occidentaux qui n’ont pas immédiatement ouvert tous leurs entrepôts militaires, laissant le temps aux Russes de se retrancher.
«L’annonce (concernant les F-16) est aussi bienvenue qu’exaspérante», note Edward Lucas dans une analyse intitulée «Trop peu et trop tard» pour le Center for European Policy Analysis, basé à Washington. «Les formations vont prendre des mois et la décision aurait pu être prise il y a 18 mois, voire avant» l’invasion russe, poursuit-il.
D’autant que l’Ukraine a encore et toujours besoin d’obus pour pilonner les premières lignes comme de missiles longue-portée pour frapper les arrières. En outre, Kiev doit faire face à une offensive russe au nord-est, près de Koupiansk, zone pourtant libérée en septembre dernier. Enfin, les missiles et drones explosifs continuent de s’abattre sur les villes ukrainiennes, faisant leur lot de victimes civiles.