Lorsque «l’Occident kidnappé» rejoint l’autre Europe dans les années 90, tant son histoire que sa géographie supposaient que la Pologne libérée aspire avidement à la paix et à la prospérité. Mais ce retour à l’Occident, sur deux jambes, l’une économique via les fonds structurels, l’autre militaire par l’Alliance atlantique, va s’avérer un succès sans équivalent, non seulement parmi les «nouveaux membres», mais aussi vis-à-vis des «vieux pays» de l’Ouest.
Qu’on en juge: un PIB qui a plus que doublé sur les 25 dernières années, élevant le niveau de vie des Polonais dans les mêmes proportions; des exportations multipliées par 15, Varsovie étant même devenu exportateur net de produits agricoles au sein des 27… Pour la Banque mondiale, il n’existe qu’un seul autre pays qui soit ainsi passé du stade de pays moyennement développé à celui de pays développé en moins de quinze ans: la Corée du Sud!
La recette de cette success-story polonaise? Elle tient d’abord et surtout l’immense générosité de Bruxelles: aucun nouvel État membre n’aura reçu un soutien aussi massif. Depuis 2004, Bruxelles a assuré plus de 200 milliards de transferts pour faire du pays de Solidarnosc le symbole de la chute du communisme, devenu un exemple de modernité. Accessoirement, elle est dopée aux outils, classiques mais efficaces dans le marché communautaire, d’une fiscalité attractive et d’un niveau de salaires assurant compétitivité, voire dumping social, symbolisés par le célèbre plombier polonais. Enfin, Varsovie excelle dans sa capacité à tirer de la famille européenne le meilleur, à savoir la solidarité de ses voisins, sans en faire preuve en retour. Que ce soit à l’égard des États membres, tel le refus catégorique –et transpartisan, du PIS ultraconservateur au libéral Donald Tusk– de la relocalisation des demandeurs d’asile, y compris au plus fort des vagues migratoires subies par la Grèce ou l’Italie; comme envers ceux qui aspirent, à leur tour, à entrer dans le marché européen: dans son soutien à l’Ukraine, la Pologne a fixé une ligne rouge, la défense de ses céréaliers.
Dans le même temps, convaincue que seule l’Amérique pouvait la protéger de la Russie, la Pologne n’a jamais menti aux Européens sur son tropisme atlantiste. Pour preuve, elle avait rejoint l’OTAN avant l’Union européenne, dès 1999. L’Europe de l’Ouest pouvait-elle lui en faire reproche, elle qui la même année appelait l’Amérique au secours pour intervenir dans les Balkans? Mais sans doute n’imaginait-elle pas que Varsovie s’affiche ensuite, à ce point, comme un soutien fidèle de Washington, avocat de la candidature des Pays Baltes et de ses voisins d’Europe centrale à l’OTAN, relais zélé des néoconservateurs dans la crise irakienne de 2003, élève modèle finissant par dépasser le maître en février 2022. Depuis, la Pologne a relayé, puis devancé les positions américaines de soutien à l’Ukraine, et réussi par communautariser sa haine de l’ennemi héréditaire russe. «Nous sommes reconnaissants à la Pologne pour sa contribution de chaque jour à l’Otan», soulignait récemment son secrétaire général. Tout comme les États-Unis peuvent remercier Varsovie de l’achat massif d’armements américains, avions de combat F-35, chars Abrams, systèmes antimissiles Patriot… une modernisation de l’armée polonaise «made in USA», sur financements allemands et français grâce au mécanisme de Facilité Européenne pour la Paix, singulière forme d’engagement au sein de la politique de défense européenne. Selon un rapport de l’Otan, en 2022, la Pologne a consacré plus de 2,4 % de son PIB à la défense (en troisième position au sein de l’Alliance atlantique, après la Grèce et les États-Unis) et affiche désormais un objectif de 4%.
Un axe euro-atlantique que, dans un discours prononcé à l’occasion du vingtième anniversaire de l’adhésion de son pays à l’Union, le président Duda vient d’afficher comme priorité de la Pologne durant sa présidence du Conseil de l’UE, au premier semestre 2025. Tout comme l’intégration européenne de la Moldavie, des Balkans occidentaux, et de l’Ukraine, ainsi que la reconstruction de celle-ci… Une partition que joueront aussi à Strasbourg les –désormais– 53 eurodéputés polonais. Assurément, Varsovie s’affiche comme le maillon fort d’un continent dont le centre de gravité glisse à l’Est.