Tunisie. Élection présidentielle anticipée, le scrutin de toutes les incertitudes

Dans ce brouhaha électoraliste, très peu ont daigné évoquer des solutions concrètes pour sortir du marasme économique ou pour améliorer le quotidien des citoyens.

Dans ce brouhaha électoraliste, très peu ont daigné évoquer des solutions concrètes pour sortir du marasme économique ou pour améliorer le quotidien des citoyens. . DR

Au bout de douze jours d’une campagne électorale très tendue, sans violence ni incidents notoires, les Tunisiens se dirigeront le dimanche 15 septembre aux urnes pour élire, pour la deuxième fois de suite au suffrage universel le nouveau locataire du palais de Carthage.

Le 14/09/2019 à 11h16

Cette élection, qui marque une étape cruciale dans le processus de transition démocratique, s’annonce toutefois très indécise, ouverte et imprévisible.

A quelques heures seulement du scrutin, les Tunisiens sont obligés de vivre un suspense insoutenable, dans la mesure où sur les 26 candidats en lice, il est quasiment impossible d’avancer un pronostic sur l’ordre d’arrivée, ni sur les deux candidats qui auront à s’affronter lors du 2ème tour.

D'ailleurs, la campagne électorale, qui a pris fin vendredi à minuit, où les candidats ont eu le loisir de défiler sur les plateaux télévisés, les radios et participé pour la première fois les 7, 8 et 9 septembre à trois débats télévisés en direct, n’a pas permis aux Tunisiens de fixer nettement leur choix, ni de dissiper le doute qui ne cesse de les habiter.

La pléthore de candidats, l’absence d’un débat public digne de ce nom, la qualité approximative des programmes annoncés auxquels se sont ajoutés des promesses qui frisent le populisme, les dérapages incontrôlés de certains candidats en course, l’ambiance délétère provoquée par l’arrestation de l’un des candidats favoris des sondages (Nabil Karoui) et les déclarations incendiaires de Slim Riahi ( candidat du parti "Al Watan Al Jadid"), en exil et objet d’un mandat de dépôt, et les performances timides d’autres candidats, ont déçu accentuant davantage l’incertitude et le doute.

Les Tunisiens qui devraient départager les candidats, sont restés sur leur faim se demandant jusqu’à la dernière minute pour qui voter, pourquoi voter et qui méritera leur confiance. Manifestement, douze jours de campagne se sont avérés insuffisants pour des électeurs indécis qui ont cherché en vain le profil du candidat le plus apte à la magistrature suprême et le plus à même de conduire le changement dans un pays qui n’a cessé depuis 2011 de faire du surplace.

Au final, le constat dressé est peu reluisant. La campagne âprement négociée par les candidats, dont les performances de certains ont été approximatives, le discours inaudible et le programme peu attrayant, s’est apparentée plutôt à un combat de coqs que des débats qui ont éclairé la lanterne d’un corps électoral quelque peu désabusé.

L’organisation de trois rounds de débats télévisés les 7,8 et 9 septembre a été, certes, une première, mais elle a laissé les quelques millions de téléspectateurs sur leur faim.

De nombreux candidats en lice ont laissé des plumes lors de ce grand oral, jugé superficiel et manquant de substance, parce que tout simplement ils ont manqué d’arguments, de réactivité et d’adresse pour séduire et interpeller.

Lors de ces débats, de nombreux candidats ont préféré botter en touche, préférant orienter leurs flèches à leurs adversaires ou en versant tout simplement dans un populisme primaire.

Ils n’ont pas reculé, comble du paradoxe, à défendre le socialisme version années 60, soutenant par exemple l’impératif de procéder à la nationalisation des entreprises et de certains secteurs, à l’application de la charia, réfutant toute idée d’égalité successorale ou en appelant à libérer le pays de la domination française défendant l’idée de "la dénonciation de traités iniques avec ce pays", pourtant premier partenaire économique de la Tunisie.

Dans ce brouhaha, très peu ont daigné évoquer des solutions concrètes pour sortir du marasme économique ou pour améliorer le quotidien des citoyens. Il y a donc un sérieux problème qui se profile à l’horizon lors de ces élections présidentielles et législatives.

Les candidats les plus expérimentés et les plus compétents, et parfois, les plus intègres, ne semblent malheureusement pas bénéficier de la crédibilité nécessaire pour l’emporter à cause de la responsabilité qui leur est attribuée dans l’échec patent dans la gestion de la chose publique dont les gouvernements successifs ont été responsables durant huit années.

Sur le terrain, les différents candidats ont sillonné la plupart des régions, du nord au sud du pays. Les meetings de certains ont été parfois perturbés, d’autres candidats ont été hués, stigmatisés, mais dans l’ensemble aucun meeting programmé n’a été annulé, des visites interrompues ou des contacts directs avec la population n’ont enregistré de graves débordements.

Une campagne entachée d'infractionsLes observateurs ont enregistré néanmoins de nombreuses infractions électorales jugées non graves, voire banales ou des dérapages médiatiques de certaines chaines de télévision et radios qui ont enfreint les règles de la stricte neutralité.

D'ailleurs, le président de l'Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE), Nabil Baffoun a dû appeler dès les premiers jours les candidats à l’élection présidentielle à plus de retenue dans leurs déclarations.

L'ISIE a annoncé l’enregistrement de 416 infractions électorales lors de la première semaine de la campagne électorale de la présidentielle anticipée.

Pour Adel Brinsi, membre de l’ISIE, "ces infractions ne sont pas qualifiées de crimes électoraux". Elles se sont traduites essentiellement par la destruction des affiches de candidats, l’affichage en dehors des espaces réservés ou l’organisation d’activités sans en aviser l’Instance.

Coté médias, les dépassements ont été rapidement mis à l’index et punis. La Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) a infligé des amendes à quatre chaines de télévision privées "El Hiwar Ettounsi", "Nessma", "Attassia" et "Telvza TV" et à la radio "Mosaïque", pour avoir fait de la propagande politique à des candidats à l’élection présidentielle anticipée.

Si dans cette course éreintante à la magistrature suprême, les observateurs s’attendent à un suffrage transparent, ils ont exprimé néanmoins des craintes sur son caractère équitable.

Leurs objections s’expliquent essentiellement par le moment choisi pour incarcérer l'un des candidats les plus en vue, Nabil Karoui. D’autres observateurs, à l’instar de l'observatoire politique "Al-Bawsala", pensent que "ces élections sont extraordinairement ouvertes et prouvent qu’il y a une véritable liberté de se présenter".

Pour les sept millions de Tunisiens (7.074.566 électeurs inscrits), appelés à voter dimanche pour la deuxième élection présidentielle libre de leur histoire, rarement l'incertitude aura été si forte. Sur les 26 prétendants, certains analystes pensent qu’il y a un peloton de favoris et toutes les combinaisons sont possibles.

Il faut noter que pour ce 1er tour de l’élection présidentielle, de premières estimations devraient être publiées dimanche 15 septembre soir par des organisations de la société civile et des instituts de sondage, alors que l'ISIE doit publier des résultats préliminaires le mardi 17 septembre.

Le 14/09/2019 à 11h16