Où qu'on tourne la tête ou lève les yeux à Doha, on tombe sur "Tamim al Majd" ("Tamim la gloire"), le nom qu'ont donné les Qataris à ce dessin du visage de l'émir, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani.
Des autocollants sur les vitres des voitures aux fresques couvrant les tours de verre du centre de la capitale, il est partout, ainsi que dans les bureaux, magasins ou administrations, sous forme de gadgets de toutes sortes -étuis de téléphone, tasses, badges...
"Je n'ai pas les mots pour décrire mon sentiment quand je vois le dessin partout (...) C'est un cadeau de Dieu que d'avoir eu l'honneur de dessiner le portrait de sa majesté qui est devenu emblématique", explique à l'AFP Ahmed Al Maadheed dans un pays où, comme dans la plupart des Etats arabes, le culte de la personnalité est bien ancré.
L'histoire de "Tamim al Majd" rappelle par certains aspects celle de "Hope", l'affiche devenue virale de la campagne présidentielle de Barack Obama en 2008, réalisée par l'artiste de rue Shepard Fairey.
Le 5 juin dernier, après l'annonce de mesures drastiques prises par Riyad et ses alliés, isolant le Qatar pour son "soutien au terrorisme", Ahmed Al Maadheed poste sur Twitter et Instagram un portrait de l'émir peint dans l'urgence.
Inspiré du pochoir, en aplats noirs légèrement ombrés de gris sur fond blanc, il montre l'émir de profil, tête nue, souligné d'une calligraphie arabe proclamant "Tamim al Majd".
D'une solennité presque empruntée sur son portrait officiel, l'émir en "Tamim al Majd" -mèche au vent et regard portant loin- apparaît moderne et audacieux.
Efficace comme un graffiti, identifiable en un coup d'œil, le portrait se propage sur les réseaux sociaux d'un petit pays sonné qui se l'approprie.
En le retweetant vers ses 550.000 abonnés (pour un émirat de 2,5 millions d'habitants, dont 80% d'étrangers) et en faisant son image de profil, le frère de l'émir, Joaan ben Hamad, amplifie sa popularité.
La célébrité de l'image a fait celle de son jeune auteur, fondateur en 2009 d'une petite société de publicité, design et animation. "L'écho était faible" jusqu'ici, admet Ahmed Al Maadheed, "mais ce portrait, grâce à Dieu, a fait que je suis reconnu".
Ses peintures ont été exposées pour la première fois fin juin dans une annexe des Musées du Qatar, puis désormais dans un prestigieux hôtel de Doha. La quasi-totalité des toiles a trouvé acquéreur en à peine un mois, alors qu'il n'en avait jamais vendu aucune.
Des rapaces allégories de la hauteur (les tableaux s'appellent "High Ambitions" ou "Glorious Heights"), un chameau devant des gratte-ciel ("Transformation")... Des portraits de la famille royale, mais aussi le grand allié turc, le président Recep Tayyip Erdogan.
"L'inspiration vient de ma propre culture, de certains assemblages comme ici entre oiseaux, chevaux et chameaux", mais aussi de "certaines personnalités connues", explique le jeune homme.
"Les discours de sa majesté l'émir m'inspirent", assure-t-il, "je suis très content que Dieu m'ait permis de produire cette œuvre (...) qui exprime mon amour pour l'émir".
Il affirme s'être vu proposer 10 millions de dollars pour l'original de "Tamim al Majd", mais a préféré l'offrir à l'émir. Il a signé un contrat avec une joaillerie pour un bijou reprenant son dessin et il se plaint de ceux, nombreux, qui en tirent de l'argent sans son autorisation.
Soucieux de sa nouvelle image ou caprice de nouvelle star, Al Madheed choisit ses mots avec soin, s'arrête, mécontent de sa formulation, et reprend son propos depuis le début. Avant de passer devant la caméra, il réajuste minutieusement, en se mirant dans son portable, chaque pli de son keffieh.
"Je suis sous les feux de la rampe, les gens me connaissent plus et s'attendent à plus, je pense que ma responsabilité est devenue plus lourde", admet-il, "j'espère pouvoir être à la hauteur de leurs attentes".