Russie-Corée du Nord: une nouvelle alliance militaire, mais pas d’escalade mondiale

Le président russe Vladimir Poutine et le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un lors d'une rencontre au sommet à Pyongyang, en Corée du Nord, le 19 juin 2024

La ratification d’un traité de défense entre la Russie et la Corée du Nord, comme un éventuel déploiement de soldats nord-coréens en Ukraine, ne devrait pas causer d’escalade militaire au niveau mondial, soutiennent plusieurs experts. Ce rapprochement pourrait toutefois influencer certains équilibres géopolitiques dans la région et au niveau global.

Le 26/10/2024 à 07h45

D’après plusieurs experts interrogés par l’AFP, le traité de défense ratifié entre Moscou et Pyongyang et le déploiement supposé d’environ 10.000 soldats nord-coréens en Ukraine ne devrait pas causer d’escalade militaire immédiate au niveau mondial. Toutefois, ce «partenariat stratégique» questionne la stabilité régionale en Asie-Pacifique et l’émergence d’une confrontation de plus en plus ouverte avec l’Occident, estiment-ils.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a affirmé vendredi que les soldats nord-coréens commenceront à combattre avec les Russes contre les troupes ukrainiennes à partir de ce dimanche, faisant craindre à ses alliés occidentaux une «escalade» dans ce conflit.

La Corée du Nord a assuré de son côté que tout déploiement de ses troupes en Russie serait «conforme» au droit international, sans confirmer ou infirmer la présence de ses soldats, déjà dénoncée par les États-Unis et la Corée du Sud ces derniers jours.

«Je ne vois pas en quoi cela pourrait conduire à une escalade de guerre mondiale», tempère Pascal Dayez-Burgeon, chargé de mission au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) français et spécialiste des deux Corées. D’après lui, «la Corée du Nord ne présente pas de vraie menace sur la paix du monde», son budget militaire étant largement inférieur «à celui de la Corée du Sud».

Sur le champ de bataille, l’envoi de soldats nord-coréens peu expérimentés en terrains étrangers ne devrait pas non plus faire «une grande différence d’un point de vue opérationnel», abonde Marie Dumoulin, du think-tank ECFR (Conseil européen pour les relations internationales).

«Pour le moment, le nombre de soldats nord-coréens qui devraient être envoyés en Russie n’est pas clair, leur mission ne l’est pas non plus», ajoute Isabelle Facon, directrice adjointe de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes.

Au-delà de l’implication de la Corée du Nord en Ukraine, les différents experts interrogés doutent que des poids-lourds militaires comme la Chine et l’Iran n’entrent directement «en guerre» sur ce front, perspective qui pourrait faire craindre un embrasement mondial. «Il n’y a pas de jeu d’alliance entre de très grandes puissances comme c’était le cas à la veille de la Première Guerre mondiale», recontextualise ainsi M. Dayez-Burgeon. «Pour la Chine, l’urgence c’est Taïwan. La guerre en Ukraine, elle soutient, mais ce n’est pas sa priorité (...) Et pour l’Iran, c’est le Proche-Orient», ajoute-t-il.

En revanche, l’expérience du combat acquise par Pyongyang sur le théâtre ukrainien, et la possibilité de «tester ses systèmes d’armes avancés» pourrait conduire à «modifier fondamentalement l’équilibre de la sécurité dans la péninsule coréenne», estime Darcie Draudt-Véjares, chercheuse au centre Carnegie.

«Clause de solidarité»

Désormais, la Russie peut activer une «clause de solidarité» avec la Corée du Nord, ce qui signifie que Pyongyang «pourrait avoir l’appui russe en cas de montée de tensions avec la Corée du Sud», son ennemi historique soutenu par les États-Unis, ajoute Mme Dumoulin.

Ce partenariat entre Moscou et Pyongyang est aussi une manière de montrer pour ces deux pays qu’ils ne sont pas aussi isolés que les Occidentaux le disent, s’accordent à dire les experts interrogés par l’AFP. Moscou, qui ne cesse de proclamer l’avènement d’un monde multipolaire, «est prête à poursuivre la politique des blocs et à accepter l’idée d’une nouvelle guerre froide» qui consisterait «à rassembler les pays non alignés» face aux Occidentaux, estime de son côté Andrew Yeo, chercheur à la Brookings Institution.

«Les mesures prises par la Corée du Nord pour permettre la guerre de Poutine pourraient encourager d’autres États, comme l’Iran, à renforcer leurs liens militaires bilatéraux avec la Russie», ajoute-t-il, Téhéran livrant déjà des armes à Moscou utilisées en Ukraine. Dans la même logique, «des coopérations triangulaires, dans le champ des technologies militaires, pourraient se mettre en place entre la Russie, la Chine et l’Iran», complète Isabelle Facon.

Quelle réaction de la Chine?

Reste à savoir comment la puissance chinoise, soutien essentiel du régime nord-coréen, regarde le renforcement de ses liens avec la Russie. Si officiellement, elle affiche pour l’instant une position neutre, «la Chine est satisfaite de ces développements, avec l’idée qu’il y a un hub d’accords de sécurité militaire qui se met en place en Asie», affirme Isabelle Facon.

Pour Andrew Yeo, toutefois, Pékin «semble craindre que les actions de la Corée du Nord puissent affaiblir son influence» sur Pyongyang, et «fournir aux États-Unis un argument supplémentaire pour renforcer les alliances avec et entre l’Otan et les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud».

Par Le360 (avec AFP)
Le 26/10/2024 à 07h45