C’est devenu une farce diplomatique en plusieurs actes. L’ambassadeur de France en Algérie, Stéphane Romatet, ferait mieux de prendre un pied à terre à deux pas du ministère algérien des Affaires étrangères, cela lui éviterait l’enfer des bouchons à Alger. Une nouvelle semaine, une nouvelle sommation. Cette fois, selon une dépêche de l’agence officielle APS diffusée ce dimanche 16 mars, le régime d’Alger tente d’exiger des comptes sur un dossier qu’il a lui-même longtemps laissé pourrir: les biens immobiliers gracieusement cédés à la France. «La semaine dernière, le ministère des Affaires étrangères algérien a convoqué M. Stéphane Romatet l’ambassadeur de France en Algérie pour mettre sur la table un dossier trop longtemps ignoré par Paris: celui des biens immobiliers mis à la disposition de la France par l’Algérie. Un dossier qui révèle un traitement pour le moins asymétrique entre les deux pays», lit-on.
On ne compte plus les fois où Romatet a dû subir le cérémonial de la remontrance officielle, depuis l’éclatement de la crise diplomatique sans précédent entre la France et l’Algérie. S’agit-il de la quatrième convocation du diplomate français en trois mois? Ou bien sa dernière convocation du 6 mars comportait deux motifs de doléance et comptait double? Probablement, un peu honteuse par ce rythme de convocations, l’agence porte-voix du régime d’Alger se garde de le préciser. En tout état de cause, ce rythme effréné témoigne moins d’une fermeté diplomatique que d’une fébrilité maladive. Pas plus tard que jeudi 6 mars, l’ambassadeur de France en Algérie, Stéphane Romatet, était donc convoqué au ministère algérien des Affaires étrangères. Objet : «Appeler l’attention du diplomate français sur la gravité du projet de manœuvres militaires franco-marocaines, Chergui 2025», indiquait un communiqué de la diplomatie algérienne.
Lundi 27 janvier, le même Stéphane Romatet était mandé par le secrétaire d’État chargé de la communauté nationale à l’étranger, Sofiane Chaib, pour s’entendre hurler la «ferme protestation» de l’Algérie face aux «traitements discriminatoires et dégradants» qui auraient été infligés à des passagers algériens à leur arrivée dans les aéroports parisiens. Le 15 décembre, Stéphane Romatet a eu droit à la même admonestation officielle, au lendemain de la diffusion par des télévisions algériennes des déclarations d’un ancien djihadiste accusant la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française d’avoir cherché à «déstabiliser l’Algérie».
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Le motif de la dernière convocation en date est des plus édifiants. Dans la dépêche APS, c’est plutôt le pouvoir algérien qui se dénonce en faisant l’inventaire de tous les biens «cédés» à la France en Algérie. Le discours de haine de la France et de rente mémorielle scandée matin, midi et soir par le régime d’Alger n’a d’égal que les très généreuses largesses dont il entoure Paris dans les faits.
De la même manière, APS dénonce également l’accord de 1994, qui régule divers aspects de la coopération entre les deux pays, notamment en matière de commerce et d’investissements. «Dans les faits, ces accords ont surtout permis aux entreprises françaises d’obtenir des conditions très favorables pour opérer en Algérie, tout en limitant les opportunités inverses pour les entreprises algériennes en France. Encore une fois, l’avantage est unilatéral et profite avant tout à l’économie française». Oui, mais pourquoi le régime d’Alger, si prompt à avancer «les intérêts suprêmes de la nation» pour justifier ses folies, a-t-il laissé faire? Mystère.
Sachons qu’au total, 61 biens immobiliers sont occupés par la France sur le sol algérien, moyennant des loyers ridiculement bas, avoue-t-on. «Parmi ces biens, le siège de l’ambassade de France en Algérie s’étend sur une vaste superficie de 14 hectares (140.000 mètres carrés) sur les hauteurs d’Alger, avec un loyer si insignifiant qu’il ne couvrirait même pas le prix d’une modeste chambre de bonne à Paris», écrit l’APS. Comme pour enfoncer le clou, le pouvoir algérien rappelle le cas de la résidence de l’ambassadeur de France, connue sous le nom de «Les Oliviers». Elle s’étale sur 4 hectares (40.000 mètres carrés) et est louée au franc symbolique, sur la base d’un prix de bail inchangé depuis 1962 jusqu’en août 2023. «Une largesse que la France n’a jamais daigné accorder à l’Algérie sur son propre territoire», lit-on encore. Et elle a bien raison.
Une attitude suicidaire
À bien lire, ce qui est scandaleux, un chef-d’œuvre d’auto-flagellation au demeurant, c’est que le discours anti-français rabâché sans relâche par le régime algérien se heurte à une réalité bien plus gênante: Paris bénéficie depuis des décennies d’une incroyable générosité immobilière de la part d’un pouvoir qui prétend pourtant s’y opposer. Alger s’indigne, mais qui a signé ces contrats? Qui a laissé la France profiter de ce jackpot immobilier et de ces juteuses affaires pendant des décennies?
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Ce qui est encore plus savoureux, c’est que cette révolte tardive pourrait bien se retourner contre ses auteurs. En soulevant la question des biens concédés à la France, le régime algérien met involontairement en lumière une faille béante: les fortunes colossales, les résidences luxueuses et les avoirs dissimulés en France par ses propres dignitaires. À Paris, certains ne demandent qu’un prétexte pour lancer la chasse à ces biens mal acquis. Et les listes existent déjà.
De plus, les biens de centaines de milliers de colons ont été saisis par les apparatchiks du régime, en dénonciation des accords d’Évian. Sans parler des biens des Français de confession juive, qui vivaient en Algérie depuis plusieurs siècles, et dont les biens ont été pillés. Autant dire que le régime d’Alger ouvre un chapitre qui risque de se révéler très douloureux… mais pas pour la partie qu’il cible.
Le Comité interministériel de contrôle de l’immigration, qui avait déjà lancé les hostilités contre Alger en posant les bases d’une série de mesures de rétorsion «à la carte» (imposition de visas aux dignitaires algériens, abrogation des accords de 1968 qui régissent les relations migratoires entre les deux pays…), n’exclut aucunement l’ouverture d’enquêtes visant les biens des oligarques et autres hauts dignitaires algériens en France. «Il suffit d’appuyer sur un bouton pour les rendre publiques et déclencher une avalanche de procès», nous confiait une source informée.
Hystérique, le régime d’Alger ne se rend pas compte qu’il ouvre une véritable boîte de Pandore.
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