En mai dernier, le pape Léon XIV exprimait son profond désir d’effectuer une visite en Algérie, terre natale de l’un des pères de l’Église occidentale, le philosophe et théologien Saint-Augustin. Et pour cause, le nouveau souverain pontife est issu de l’ordre des Augustins.
Issu de l’union d’une mère amazighe chrétienne, Monica, et d’un père romain païen, Patricius, Saint-Augustin est né à Thagaste, qui faisait partie de la province romaine de Numidie, où se trouve aujourd’hui la ville de Souk Ahras, en Algérie. Devenu évêque d’Hippone, aujourd’hui Annaba, en 395, il y est mort en 430.
Pour Léon XIV, la perspective d’une visite sur la terre originelle de son père spirituel est très compréhensible et probablement très émouvante pour lui. En revanche, cette visite interroge, à l’heure où le rapport à la religion chrétienne observé par l’Algérie nouvelle de Abdelmadjid Tebboune n’a jamais été aussi conflictuel.
L’Algérie nouvelle, terre d’intolérance au christianisme
Acculé dans ses frontières et isolé diplomatiquement, engagé dans un bras de fer avec l’Espagne, la France, le Maroc, les Émirats arabes unis, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et la liste est encore longue, le régime d’Alger a vu dans la visite de son président en Italie une véritable aubaine pour renforcer ses liens avec l’un des rares alliés qu’il lui reste. Entre deux deals d’hydrocarbures, le président algérien est décidément prêt à tout pour se faire bien voir, quitte à se refaire une virginité spirituelle au Vatican.
Lire aussi : Persécution des chrétiens: un nouveau rapport accable l’Algérie
À l’occasion de cette visite pour le moins improbable, le pape touchera-t-il un mot au locataire de la Mouradiya au sujet des exactions de son régime à l’encontre de la communauté chrétienne d’Algérie? Évoquera-t-il la fermeture de toutes les églises protestantes évangéliques du pays? L’interrogera-t-il sur les raisons qui ont fait que le pays occupe la 19ème place du classement «Index mondial de persécution des chrétiens» avec la mention «persécution très forte» en 2023?
On ne peut que l’espérer, car jusqu’à ce jour, rien ni personne n’a pu venir à bout de la détestation de ce régime pour tout ce qui dévie de sa conception de l’histoire, de la religion et de sa politique. Cette visite au pape américain prête à sourire (jaune) alors qu’en 2024, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, épinglait à nouveau l’Algérie dans la liste des pays qui ne respectent pas la promotion de la liberté de religion ou de conviction. Le département d’État américain les considère comme «particulièrement préoccupants pour avoir commis ou toléré des violations particulièrement graves de la liberté religieuse».
Lire aussi : Fin des libertés religieuses en Algérie: les autorités ordonnent la fermeture de l'association catholique Caritas
La chose n’est pas nouvelle. Le pays, où l’antisémitisme prospère tout autant que l’antichristianisme, s’est imposé au fil du temps comme un grand habitué de cette liste de surveillance, sur laquelle il figurait déjà en 2020, en 2021 et en 2022. Les États-Unis ne sont d’ailleurs pas les seuls à tirer le signal d’alarme. En 2020, le Parlement européen critiquait l’Algérie pour l’oppression des chrétiens et des minorités religieuses alors que la nouvelle constitution du pays, née en 2020, se caractérise par la suppression de la liberté de conscience. Faut-il enfin rappeler qu’en 2022, cette chasse aux sorcières s’était par ailleurs caractérisée par la fermeture, ordonnée sans raison précise par les autorités du pays, de l’association catholique Caritas, après 60 ans de bons et loyaux services auprès des plus pauvres en Algérie.
De Saint-Augustin à Fayrouz, une longue histoire d’oppression
Ce nouveau pays créé en 1962 s’inscrit, comme le relève Antony Blinken, dans «une longue histoire d’oppression et de persécution des minorités religieuses». Alors que c’est précisément sur ces terres numidiennes que jadis Saint-Augustin fonda le premier monastère africain à Thagaste, on ne saurait faire l’impasse sur le massacre des sept moines de Tibhirine, commis il y a 25 ans et imputé faussement aux islamistes, puisque selon de récentes enquêtes, la responsabilité des services de renseignement algériens semble ne plus faire de doute.
Outre son admiration pour Saint-Augustin, auteur de cette célèbre citation «une loi injuste n’est pas une loi» (qui n’a plus lieu d’être sur sa terre natale), il est à espérer que le pape Léon XIV ne soit pas un fan inconditionnel de la chanteuse chrétienne libanaise Fayrouz. Car dans l’Algérie de Tebboune, on limogeait en 2021 les responsables de la radio Circa pour «glorification de la religion chrétienne», après que ceux-ci avaient osé diffuser sur les ondes Laylet Eid (une version de Jingle Bells en arabe).
Enfin, le pape Léon XIV, qui, au mois de mai, appelait de ses vœux à la «dignité des migrants», pourra-t-il faire retrouver la raison au dirigeant d’un pays où l’on abandonne les migrants subsahariens dans le désert sans eau ni nourriture? Un pays où l’on emprisonne des écrivains, des journalistes et des libres penseurs pour avoir osé dire une vérité que ne saurait entendre un régime aux mains de militaires sans foi ni loi? «Ce que l’homme fait, l’homme le détruit», ainsi parlait Saint-Augustin qui doit se retourner dans son tombeau lequel– heureux hasard? – ne se trouve pas en Algérie mais en Italie, à Pavie, où ses reliques reposent dans la basilique San Pietro in Ciel d’Oro.








